Une ONG archive depuis 2012 la machine de répression syrienne. Un trésor inestimable pour la justice internationale, notamment lors du procès d’Anwar Aslan.
Le document est daté de l’automne 2012. Un compte rendu d’interrogatoire de la branche 285 des renseignements généraux du régime syrien. Sur le papier légèrement froissé, quelques lignes en arabe, et en bas, une signature. Celle d’Anwar Raslan. C’est une simple feuille, plus légère qu’une plume. Mais sa valeur judiciaire n’est pas quantifiable. Car elle est une preuve directe de la position hiérarchique au sein des renseignements de l’ancien colonel, aujourd’hui jugé pour crimes contre l’humanité à Coblence, en Allemagne (lire l’épisode 1, « À la recherche d’Anwar Raslan, tortionnaire syrien »). Un document parmi des milliers d’autres, exfiltrés clandestinement de Syrie par une organisation privée, The Commission for International Justice and Accountability, la Commission pour la justice internationale et la responsabilité (Cija).
À l’entrée du siège de cette ONG, il n’y a ni plaque ni interphone. N’entrent là que ceux qui savent où aller. L’emplacement même du centre d’archives ne doit pas être mentionné – tout juste se bornera-t-on à parler d’une grande ville européenne. Une culture du secret qui s’explique par le trésor judiciaire abrité en ces murs. Depuis 2012, la Cija forme et envoie sur le terrain des hommes et des femmes qui collectent au péril de leur vie les preuves matérielles de la responsabilité criminelle du régime syrien – et désormais de l’État islamique. Comptes rendus de cellules de crise, ordres de mission, documents administratifs épars arrachés aux entrailles de classeurs éventrés… Au total, plus de 870 000 documents sont ainsi entreposés au siège de la Cija. Soigneusement numérisés, classés sur des étagères métalliques dans une pièce sécurisée, à l’humidité et la température contrôlées, ils attendent leur heure, celle des grands procès internationaux que le fondateur de la Cija appelle de ses vœux.
Courts cheveux blonds, yeux bleus et mâchoire carrée, le Canadien Bill Wiley carbure aux cigarillos et aux canettes de Coca. De son passé militaire, il a gardé une rhétorique tranchée – l’homme ne jure que par l’efficacité – et une certaine affection pour les «fucking» et autres jurons dont il ponctue ses dissertations sur son organisation mais aussi sur les idéaux et les travers du monde judiciaire international. Cet univers, il le connaît sur le bout des doigts.