«Nous autres Syriens n’avons jamais connu de tribunaux équitables. D’habitude, c’est nous, défenseurs des droits humains, qui nous trouvons dans le box des accusés à cause de nos opinions, expose Mazen Darwish. Alors ce procès d’Anwar Raslan, c’est un apprentissage. Nous apprenons le fonctionnement d’une véritable justice indépendante, pour mieux poursuivre notre lutte contre l’impunité. » Comme à son habitude, l’avocat parle d’une voix douce, soupèse ses mots, en regardant défiler les paysages par la fenêtre de la voiture. Ce 20 mai 2020, nous rentrons de Coblence, en Allemagne, où, deux jours plus tôt, Anwar Raslan s’est exprimé pour la première fois par la voix de son avocat. Accusé de crimes contre l’humanité, l’ancien colonel des renseignements syriens nie toute responsabilité (lire l’épisode 7, « Raslan : “Je n’ai pas commis les crimes dont on m’accuse” »). Dans la voiture, Mazen Darwish et son collègue, le juriste syrien Almoutassim Al-Kilani, fument des cigarettes à la chaîne, sur fond sonore franco-syrien. C’est la deuxième fois que les deux hommes roulent sur les routes désertées de l’Europe confinée pour assister aux audiences du tribunal allemand. Pandémie ou non, ils n’auraient pas pu manquer ça. Car, pour Mazen Darwish, ce procès, c’est la première esquisse de justice dans un combat qu’il mène depuis près de vingt ans.
« Ma grand-mère voulait que je sois médecin. Moi, je voulais être avocat, je ne sais pas trop quand ou pourquoi j’ai décidé cela, raconte-t-il. Peut-être à cause de mon enfance. » Mazen Darwish est alaouite. Mais dans sa famille de militants démocrates, on pouvait disparaître du jour au lendemain. « Mon père a été emprisonné dix-sept ans ; ma mère pendant sept ans. D’autres proches ont aussi été détenus des années. Tout cela à cause de leurs opinions. » Pour le futur avocat, la colère face à l’injustice est une compagne d’enfance. « Pourtant, je n’ai jamais cru que la violence pourrait résoudre quoi que ce soit, précise-t-il. Je crois à la possibilité de changer les choses pacifiquement, je crois à la loi. » Mais dans un système où la justice est théorique, un avocat ne pèse pas plus lourd qu’une plume. « Dans les tribunaux, il n’y a pas grand-chose que l’on puisse faire, reconnaît aujourd’hui l’activiste. Mais nous pouvons comprendre le système de l’intérieur, savoir comment telle ou telle cour fonctionne, comment les renseignements contrôlent les juges… »

Mazen Darwish n’a pas été avocat longtemps.