À quelques semaines près, il ne verra pas se réaliser le grand mouvement qu’il ourdissait depuis des années : le rachat officiel du groupe Lagardère par Vivendi. Jean-Pierre Elkabbach est mort ce 3 octobre 2023 à 86 ans – seulement, serions-nous tentés d’ajouter tant son spectre hante le paysage médiatique depuis si longtemps que certains disent se souvenir encore de son interview, toute de componction et de collusion, du président Raymond Poincaré en 1919 (les gens sont méchants). Au-delà de l’Elkabbach d’Épinal – Jean-Pierre et Georges Marchais, Jean-Pierre l’air d’avoir mangé un truc pas frais en annonçant l’élection de François Mitterrand en 1981, on y revient –, il y a en effet l’Elkkabach de l’ombre. Celui qui travaillait au rapprochement de Vincent Bolloré et d’Arnaud Lagardère, cumulant chez chacun d’entre eux le titre de conseiller. Sans lui, le premier n’aurait peut-être jamais bouffé le second ; sans lui, l’empire Bolloré s’en serait peut-être tenu à Canal+.
Il est une des premières recrues de CNews, une fois i-Télé enterrée début 2017 (lire l’épisode 47 de L’empire) et c’est au même moment qu’en plus, Vincent Bolloré lui attribue un poste de conseiller « pour le développement » du groupe Vivendi-Canal+. Magie du cumul des mandats et préfiguration de la future OPA, il est parallèlement et simultanément reconduit conseiller pour les médias du groupe Lagardère. S’il quitte alors Europe 1 – qui avait relégué sa fameuse interview politique le week-end –, Jean-Pierre Elkabbach continue de caresser l’idée d’un rapprochement avec le groupe Lagardère, une envie qu’il entretenait avec trois autres complices de la radio : Ramzi Khiroun, dircom de Lagardère mais patron officieux d’Europe 1, le directeur de l’info Donat Vidal Revel et Charles Villeneuve, qui hante toujours l’antenne de la station. Surnom des compères : « les quatre cavaliers de l’apocalypse ». À l’époque, en 2017, Vincent Bolloré rêve d’aboucher CNews et Europe 1, radio qu’il adore – c’est de son âge. Et quand Bolloré veut quelque chose, ça peut prendre du temps, mais il l’obtient, dût-il employer la force. Quand il met effectivement la main sur le groupe Lagardère au printemps 2021, Jean-Pierre Elkabbach sera naturellement de la grille de rentrée (lire l’épisode 19, « À Europe 1, la rentrée déclasse ») mais c’est sans lui que s’opère l’OPA.
Jean-Pierre Elkabbach et Ramzi Khiroun, ex-dircom de Lagardère, à Roland-Garros, le 1er juin 2015
— Photo David Nivière/Sipa.
Un destin que celui de Jean-Pierre Elkabbach : né au journalisme sous l’ORTF, il s’éteint sous le règne de Vincent Bolloré qui vide les rédactions les unes après les autres comme on vide des poissons, d’i-Télé au JDD en passant par Europe 1, Paris Match (qui annonça son décès en prems mardi 3 octobre au soir) et les magazines de Prisma Média.