Louanne et Moussa sont assis face à face, une table entre eux. ll est « Merlin ». Elle est « Madame Vador, la conseillère d’orientation ». Ils sont tous deux en jogging, parce que c’est mercredi et que le mercredi, la 3e B d’Aimé-Césaire a sport le matin. Moussa a gardé sa doudoune, comme d’habitude. A l’écart, Junior tape dans ses mains pour marquer les trois coups. Emporté dans son élan, il improvise une rythmique toute personnelle. Parfois, Junior est un peu dans son monde. Eléonore Garcia, la prof de français, l’interrompt discrètement. Silence. Moussa prend la parole.
Bonjour Madame Vador.
Discutons de ton orientation et de ton destin, Merlin.
Quel est mon avenir ? Que vais-je devenir ?
J’ai regardé tes résultats, il n’y a rien qui va !
Madame la conseillère, lisez dans cette boule de verre / Et dites-moi enfin ce que je vais faire
Si tu continues à être en retard à l’école, / Tu balaieras les boulevards et les sous-sols
Moussa se lève et s’explique
Madame Vador, je peux faire des efforts / Et je vais vous dire / Que dans mon avenir / Je piloterai un navire.
Moussa se rassoit.
Nous allons chercher les différents lycées / Qui correspondent à ton souhait
Louis-la-Marina est un bon lycée, / Je veux aller là-bas pour étudier
Mais malheureusement cet établissement est très exigent.
Je vous promets de m’améliorer / Et de vous ramener un bon livret.
Il ne reste que trois mois / Je compte sur toi.
Je vous promets que ce trimestre / Ne sera pas funeste.
Louanne laisse éclater un rire sardonique.
Ce mercredi matin, dans la grande salle polyvalente au rez-de-chaussée du collège, les 3e B jouent des saynètes de théâtre qu’ils ont écrit la semaine précédente en cours de français. Enoncé du devoir : Imaginez une scène entre deux personnages autour du thème du destin. Un personnage adulte qui prédit l’avenir d’un jeune, son destin scolaire et professionnel. Un personnage jeune qui refuse ce que lui prédit l’adulte et argumente pour défendre son avenir qu’il voit différent.(…) L’écriture de scènes décalées sont permises (…) pour créer des effets comiques ou mettre en évidence que la fiction, l’exagération peut dire des vérités plus fortes…
Depuis deux mois, Eléonore Garcia travaille avec la classe sur la relecture des mythes. Elle essaie d’introduire dans ses cours des passerelles entre une culture classique à laquelle les collégiens n’accrochent pas forcément et des références culturelles qui leurs sont plus familières, ou des références plus surprenantes susceptibles de les interpeller ou de les bousculer. La relecture des mythes va donc d’Œdipe roi de Sophocle à Anakin Skywalker dans Star Wars. Elle s’arrêtera en chemin longuement sur Macbeth de Shakespeare parce qu’on est quand même en cours de français.
En plus des analyses de textes, Eléonore Garcia, férue de théâtre et de cinéma (elle anime le club cinéma du collège), a diffusé des extraits des pièces d’Œdipe roi de Pasolini, de la double trilogie de Georges Lucas et du Château de l’araignée, de Kurosawa. Cela fonctionne. Pas à tous les coups. Pas à tous les cours. Pas avec tous les élèves. Certains matins, j’ai vu l’enseignante devoir ramer pour parvenir à ce que les élèves ne décrochent pas, et surtout, participent, comprennent les enjeux. D’autres fois, d’autres jours, sur certains plus que sur d’autres, le propos prend.