Une année passée dans la classe des 3e B, une trentaine d’épisodes, autant de portraits d’élèves, de profs, de surveillants… et je n’ai jamais parlé de lui. L’année scolaire est terminée et cette obsession s’achève avec les résultats du brevet qui tombent. Il reste sur mes carnets de notes beaucoup de sujets non publiés, d’instants non racontés, par manque de temps. Et puis il reste l’histoire de S., que je n’avais pas écrite faute de savoir comment m’y prendre. Comment évoquer la vie d’un adolescent lui-même mal à l’aise avec son histoire ? Je me décide à le faire maintenant qu’il est tard, que la 3e B du collège Aimé-Césaire est dissoute dans les vacances et que S. n’est plus à portée du regard de ses camarades de classe. Parce que l’histoire particulière de cet élève ne s’est pas effacée en refermant mes cahiers. Je commencerai par gommer les lettres de son prénom pour ne laisser que son initiale.

S. est une longue tige silencieuse, il a le regard aussi sombre que doux. Il est né en 2000, dans une petite ville côtière de la République du Congo où il a vécu jusqu’à l’âge de 6 ans. Il aura 16 ans à la fin de l’année. Dans la classe, il est généralement assis au premier rang, sur le côté. À cause de sa grande taille, il se tient souvent voûté, le dos replié au-dessus de sa table, comme pour ne pas se faire trop remarquer. Il n’est pas présent à tous les cours car il est scolarisé depuis la sixième dans le dispositif Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire), qui accueille des élèves en situation de handicap
, selon la terminologie administrative. Mais au collège Aimé-Césaire, on évite de prononcer le mot « handicapé ». C’est un terme qui blesse les élèves d’Ulis, et on fait attention à ce que les autres élèves ne l’emploient pas non plus
, explique Stéphane Bonnet, l’enseignant coordonnateur du dispositif au collège. La section Ulis s’occupe d’élèves présentant des troubles cognitifs ou un retard intellectuel. Le principe est celui de l’inclusion : ces élèves ont un emploi du temps aménagé entre la classe d’Ulis dispensée par un enseignant spécialisé et une classe classique à laquelle ils sont intégrés pour les cours qu’ils peuvent suivre, selon leurs capacités. Ainsi, durant cette année, S. était dispensé de maths, de sciences de la vie et de la terre (la biologie), d’espagnol et de français.
S. n’aime pas dire qu’il est en Ulis. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai hésité à écrire sur lui.