La première fois que je les ai rencontrés, c’était il y a presque un an. J’avais du mal à retenir leurs prénoms. Ils avaient du mal à comprendre ce que je faisais là. C’était en novembre 2015, Les Jours avaient décidé de passer une année scolaire dans un collège classé en éducation prioritaire, un de ces collèges « REP », comme les désigne l’acronyme du moment. Avec le photographe Simon Lambert, nous voulions raconter, au long et à hauteur d’élèves, les mécaniques défaillantes de l’égalité des chances et de la mixité sociale. Raconter aussi les ados depuis l’intérieur d’une classe. Durant un an, nous avons donc suivi pas à pas les 3e B du collège Aimé-Césaire, situé dans un quartier populaire du nord de Paris, à La Chapelle. Dans la classe, dans la cour, à la cantine, chez la conseillère d’orientation ou en perm’… Nous les avions laissés en juillet dernier, ils venaient de passer le brevet et de recevoir leurs affectations en lycée.
Sur les 23 élèves de la 3e B, 10 ont été orientés vers une filière « pro », rarement par vocation. Les autres ont été disséminés dans différents lycées parisiens selon la complexe logique du système d’affectation « Affelnet » (lire l’épisode 28, « La machine à caser les collégiens »). Nous les avons retrouvés juste avant les vacances de la Toussaint. Ils revenaient pour la première fois au collège Aimé-Césaire assister à la cérémonie de remise des diplômes du brevet. Jean-Louis Terrana, le principal, a institué ce rendez-vous depuis plusieurs années. Une manière de créer du lien entre les anciens élèves et le collège. De valoriser aussi la réussite scolaire dans un établissement où le brevet, pour beaucoup d’élèves, n’est pas une simple formalité. Cette année, 16 élèves sur les 23 de la 3e B ont eu leur brevet, 10 ont obtenu une mention.

Ce soir-là, ils sont arrivés un peu en avance pour se retrouver sur l’esplanade devant le collège. Au milieu du groupe bruyant des garçons, une liane bleu vif ondule, ballon de foot au pied. Dans son dos, il y a marqué en gros « Pogba ». Seny n’a pas changé, on ne voit que lui. Il y a des filles qui l’observent en biais. Vithuran va de groupes en groupes, ceux des filles et ceux des garçons (cela non plus n’a pas changé, on se range toujours par genre). Il prend des nouvelles de tout le monde, en donne du collège, des profs, des élèves. Ragots divers : absences, couples, sanctions, travaux. Vithuran est le seul des 3e B à avoir redoublé, à sa demande.