Dans les couloirs des maisons de disques, on l’appelle la génération perdue. Pas X, pas Y ou Z : perdue. Comme perdue pour le business. Ce sont les auditeurs qui ont grandi dans les années 2000 et 2010, celles du téléchargement sauvage sur eMule ou MegaUpload, de l’offre légale poussive sur des plateformes trop chères, du téléphone mobile sans internet. Surtout, c’étaient les années de la gratuité et de la débrouille.
Ceux et celles qui sont nés avant 2000 ont un rapport différent à la musique : ils ont souvent acheté des CD avant de plonger dans Napster et remontent aujourd’hui à la surface en s’abonnant à une plateforme de streaming comme Spotify ou Deezer, parce que leur salaire de trentenaire le leur permet et qu’il faut emmener la petite dernière au poney le samedi plutôt que d’aller à la Fnac. Mélissa, Sara, Alice et Carla, les quatre étudiantes de Nanterre que nous avons réunies pour parler musique dans cet épisode des Années fac, sont pile de la génération d’après. Pour elles, la musique a toujours été un flux infini, un objet du quotidien qui doit être consommé à l’envi et pas une rareté. Et tout cela gratuitement. C’est bien ce qui embête les maisons de disques, lorsqu’elles évoquent cette classe d’âge : ceux d’avant ont connu la rareté et le payant, les plus jeunes grandissent dans un nouveau monde où il est devenu cool de payer un abonnement, tandis que la génération perdue, elle, tangue dans un no man’s land moral.
Parmi la petite bande, seule Mélissa revendique aujourd’hui l’idée de s’abonner à un service musical. Elle paye les 5 euros de l’abonnement étudiant à Apple Music depuis qu’elle est à la fac et s’en sert pour « écouter de la musique tout le temps ».