Tout au long de la campagne présidentielle, ces femmes et ces hommes que nous suivons dans d’autres séries des Jours ont accepté de nous raconter leur vie intime d’électeurs. Ils nous ont parlé de leurs convictions, de leurs hésitations, de leurs inquiétudes et, parfois, de leurs volte-face. Ils nous ont fait entrer dans leurs isoloirs. Au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, ils apparaissent un peu sonnés par cette folle campagne et souvent un peu désemparés.
Antoine Labaere se rappelle de nos premiers échanges cet automne, lorsque nous débutions cette série des Électeurs : « Souvenons-nous, on pensait avoir un second tour Fillon-Le Pen, donc, au final, on ne s’en sort pas si mal. » Ceci posé, ce professeur d’histoire-géo dans un collège parisien classé en éducation prioritaire (le collège Aimé-Césaire où Les Jours ont passé un an) n’est guère enchanté d’avoir Emmanuel Macron pour Président. À l’état naturel, Antoine Labaere, 33 ans, est nettement plus à gauche que le Parti socialiste, obédience NPA. Il avait fait exception cette année, en votant pour Benoît Hamon, seul « à oser remettre en cause la valeur travail ».

L’entre-deux-tours a été compliqué à gérer pour lui. « J’étais tellement déçu de ne voir aucun candidat de gauche au second tour, surtout que Mélenchon n’est quand même pas passé loin. J’ai été toute la première semaine dans le camp du “ni-ni”, dans le truc de “la peste ou le choléra”. » Position modérément assumée. Au collège, quand les élèves l’interrogeaient, il disait que oui, bien sûr, il voterait. « En tant que prof, surtout d’histoire-géo, on a quand même le devoir de montrer l’exemple, d’être un bon citoyen. » Finalement, Antoine Labaere s’est ravisé. Dimanche, il a donc voté Macron. « Quand même la meilleure façon de voter contre Le Pen », concède-t-il. Mais le geste lui a visiblement coûté. Après son vote, il a hésité à aller rejoindre un rassemblement d’anciens de Nuit debout à la Villette, dans le nord de Paris. « Comme si je cherchais à me faire pardonner mon vote Macron. »
Finalement, dimanche soir, au moment des résultats, il était au théâtre avec sa compagne. Ils avaient pris des places plusieurs mois auparavant. Au moment où ils pensaient que le second tour serait Fillon-Le Pen.
À Échirolles, en banlieue de Grenoble, Brahim J. est allé au bureau de vote avec sa fille de dix ans, pour la première fois. « Elle avait tellement envie de voter que je l’ai emmenée. » Sans hésiter, il a glissé son bulletin Macron dans l’urne.