Deux salles, deux ambiances. Pardon pour cette entame d’article aux relents de Macumba. Mais on n’a pas trouvé mieux – ou pire, c’est selon – que ce cliché pour vous parler de ce qui a été, cette semaine, n’ayons pas peur des onomatopées, le véritable « pan » de départ de la campagne de la primaire de gauche : la présentation des programmes de, à notre gauche, Vincent Peillon et heu, à notre gauche aussi mais un chouïa moins quand même, Manuel Valls. Eux les deux héritiers de François Hollande, déboulés en catastrophe suite au décès politique de leur papa, quand Arnaud Montebourg et Benoît Hamon tuent le père et défoncent son bilan depuis des mois. Peillon-Valls, on pourrait, si on a le goût des subtils nuanciers politiques, y voir la branche sécessionniste (Peillon qui mit les bouts du gouvernement en 2014) contre la branche légitimiste (Valls qui n’en décanilla que pour devenir candidat). On pourrait. On pourrait aussi y voir une seule et même branche, celle des mecs qui comptent gagner une primaire puis la présidentielle en incarnant le quinquennat le plus honni de l’histoire de France depuis le règne de Chilpéric II, dit « Le Pleutre » (cherchez pas, on l’a inventé).
L’un a choisi le très chic écrin de la maison de la chimie dans le VIIe arrondissement de Paris, traditionnel présentoir à hommes politiques. L’autre, Le 100, espace culturel solidaire dans le moins chic XIIe arrondissement. Valls dans la première, Peillon dans le second. Et chacun présente son programme à une heure d’intervalle, ce même mardi 3 janvier, sur l’air de « c’est moi qui ai dit que j’allais présenter mon programme en premier heu, c’est l’autre qui m’a copié heu » (Vincent Peillon : « Nous avions annoncé que nous présenterions le programme le 3, deux jours avant Manuel Valls. »). Forcément, un véritable appeau à journalistes excités à la perspective de pouvoir titrer articles ou reportages « Duel à distance » voire « Match dans le match ». Ah zut, on s’est fait prendre.
Mais voilà, les journalistes préposés à Peillon font carrément des tronches de lendemain de réveillon pas frais. Ils sont pourtant venus en masse dans cette pas très grande salle du 100, ils sont plus nombreux que les soutiens de Vincent Peillon en fait. Les chaînes info sont là, les télés, les Quotidien de Yann Barthès sur TMC, les Petit Journal de Canal+ (oui, ça existe encore), les radios bardées de leurs Nagra et micros poilus, des carnets, des smartphones, mais une motivation toute relative. Et ça soupire. Ça ronchonne. Ça lève les yeux au ciel. Ça fait des sarcasmes. Il faut être franc, être envoyé pour couvrir Peillon, ça ne sent pas le prix Albert-Londres à plein nez. Un journaliste d’un grand quotidien confie que dans son média il n’y a pas de rédacteur en charge de Peillon. Forcément, personne ne l’attendait celui-là, sorti d’on ne sait quel invraisemblable chapeau à la faveur d’on ne sait quel invraisemblable calcul politique à base de « tout sauf Valls le félon ».
Qui sont ces gens ?
En face, chez Valls, on sent bien au conséquent déploiement médiatique que l’aura matignonesque perdure. S’il y a une équipe du Petit Journal chez Peillon, Valls, lui, a droit à son présentateur, Cyrille Eldin en personne (oui, lui aussi existe encore), qui vient lui fourrer micro et bronzage caribéen sous le nez. 280 places assises, toutes garnies d’augustes fessiers, tant journalistiques qu’élus venus faire la claque pour l’ex-Premier ministre. Certains des (nombreux) soutiens dont bénéficie Valls sont là – Élisabeth Guigou, députée de Seine-Saint-Denis, Patrick Kanner, ministre des Sports, Juliette Méadel, secrétaire d’État chargée de l’Aide aux victimes, ou encore Jean-Marie Le Guen, sous-ministre à la Francophonie – mais c’est pas Hollywood non plus.
Dans le XIIe, c’est un grand moment de solitude que vivent Les Jours quand, jetant un œil aux soutiens de Vincent Peillon, c’est à peine si on en reconnaît deux-trois. Mais alors que, de dépit journalistique, on s’apprêtait à faire fondre notre carte de presse, un collègue plus aguerri nous rassure en se grattant la tête : « Qui sont ces gens ? » Et de fait c’est pas la fête de la vedette : il y a le député Patrick Bloche, directeur de la campagne de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, le sénateur David Assouline, le député de l’Hérault Sébastien Denaja… Heu. Ah tiens, elle, on la connaît, voyons c’est… « la dame des questions à l’Assemblée nationale sur France 3 ! », nous révèle un confrère. D’accord, c’est Danielle Sportiello, pas un soutien mais une journaliste, donc.
Enfin, de la porte à double battant qui n’est pas sans rappeler celle de défunts gymnases de nos jeunesses, sort le candidat Vincent Peillon qui se dirige vers ce qui fait office de scène. Un pupitre sans slogan – Peillon n’en a pas – mais avec ces informations incontestables : « Vincent Peillon 2017 », « Présentation du projet », la date et un hashtag pour la touche moderniste. Les obligatoires drapeaux français et européen fichés dans un pot de fleurs, en fond d’écran, un drap pas très bien repassé, le tout baigné d’une lumière bleue électrique et ça fera bien la blague. Du côté de Valls, c’est légèrement plus chiadé. L’éclairage, pour les chaînes info, est savant, le micro testé et retesté (avec la formule habituelle « Paris-Bordeaux-Le Mans »), le nouveau slogan – « Une République forte (en bleu, ndlr), une France juste (en rouge) » – imprimé au petit poil, et les invités du premier rang savamment triés. Un garçon, une fille, un garçon, une fille, un garçon, un garçon (oui, ça manque de filles). Harold Hauzy, grand chambellan de la com de Valls, inspecte l’ensemble de son œil charbonneux, ça a l’air de lui convenir.
Alors, vous préférez qui ? Valls ou Peillon ? « Je veux » ou « Je veux » ? Oui car aux « Je veux » égrenés par le premier dans sa déclaration de candidature et répétés mardi encore répondent les « Je veux » du second. Ah oui, que voulez-vous, on s’en tient à la forme car, niveau programmes, les deux héritiers de Hollande sont de la même eau (tiède) et funambulisent sur la même ligne politique mollassonne, vous savez, cette « gauche de gouvernement ». De l’Europe : une « conférence de refondation » pour Valls, un « new deal » pour Peillon. Des fonctionnaires en plus, mais surtout dans la police, et autant des deux côtés (5 000), pas de jaloux. Une même augmentation du budget de la Défense et une identique baisse du nombre de parlementaires, ce genre de choses.
Hormis un schisme d’importance du côté du revenu universel (Valls lui préfère un « revenu décent » et Peillon y est « philosophiquement » opposé), notons tout de même quelques différences. Et elles ne tiennent pas qu’aux mouvements des mains de Peillon, d’influence clairement mitterrandienne, ni à l’oreille droite de Valls, qui se dresse d’un coup quand il s’indigne : un peu plus à gauche côté éducation pour Peillon qui veut, par exemple, contraindre l’enseignement privé à plus de mixité sociale. Sinon, il semble jouer la voiture-balai des promesses non tenues par François Hollande avec, notamment, le vote des étrangers aux élections locales. Manuel Valls, lui, pratique d’acrobatiques figures avec son désormais célèbre salchow arrière du 49.3 qu’il supprimera après l’avoir tant utilisé (jeudi soir encore sur France 2, il expliquait se l’être fait « imposer » sous la pression des frondeurs, pauvre petit chat) ainsi que ce copié-décalé de haut vol consistant à aller se servir dans les programmes des autres, si possible plus à gauche que lui (ainsi le service civil de six mois chouravé à Montebourg).
C’est un bien étrange exercice auquel on se livre là, assister à la présentation des programmes de Valls et Peillon. On note des mots les uns après les autres, on essaie de se concentrer sur les idées, les concepts. Et on se rend vite compte que les mots mis bout à bout ne font pas sens. Que nos cerveaux y sont imperméables. On entend des choses comme « esprit de responsabilité », « nouvelle donne démocratique », « donner à chacun les moyens de se façonner un avenir à la hauteur de ses rêves », « priorités maintenues dans la durée », il est question d’« accentuer l’égalité entre les territoires », de « rompre avec les hésitations et les ambiguïtés ».
Alors, comme les mauvais élèves en classe, on est distraits, on se dissipe. On regarde son voisin d’une radio qui, écrasé sous son Nagra, arrimé à son micro velu, pousse de gros soupirs à chaque nouvelle priorité énoncée par Vincent Peillon. On ne note plus que les mots sur lesquels le candidat trébuche. On écoute les grommellements de Jean-Marie Le Guen quand les questions des journalistes à son champion Valls ne lui plaisent pas. On se sent bêtes, on se sent nuls, on se dit qu’on est les seuls à ne pas pouvoir imprimer dans les synapses de nos cerveaux ces mots qui nous sont servis et forment un programme politique. Celui d’un potentiel candidat de gauche à la présidentielle. C’est important, la présidentielle quand même. C’est important, la gauche, nom d’un Jean Poperen.
Et puis arrivent les questions à la fin et on se tait parce que la seule qu’on ait envie de poser c’est « pourquoi ? ». Là, on s’aperçoit, quand, à deux reprises, des journalistes reprochent au candidat de ne pas avoir abordé des points qui faisaient pourtant bel et bien partie de son exposé qu’on n’est pas tout seuls. Que ces mots prononcés ne sont pas sortis par une oreille puisqu’ils ne sont même pas entrés par l’autre. Qu’ils n’ont été écrits que pour exister dans cet instant, pour être reproduits, retransmis à la télévision, dans les journaux, à la radio, pour les alimenter dans cette campagne de la primaire tellement éclair que, pour Valls et Peillon, embarqués dans la course à la seule faveur du renoncement de Hollande, seule compte l’occupation médiatique, et c’est tout. Leurs mots n’iront pas plus loin que ce bocal à poissons où tournent politiques et journalistes. Ils ne seront jamais concrets, audibles. Ils ne parleront jamais à personne, à aucun électeur. Ils ne sont pas faits pour ça.
Face à Vincent Peillon tout comme face à Manuel Valls, on s’abîme alors dans la contemplation de la dame qui traduit les discours des candidats dans la langue des signes. Quand Peillon a dit « socialiste », quand Valls a fait de même, c’est au geste de l’interprète qu’on a compris le mot : un poing gauche levé.