Un jour, c’était le 6 décembre 2015, au lendemain du premier tour des élections régionales où le FN remportait plus de six millions de voix, un grand philosophe a lancé cet appel : Les politiques, arrêtez de penser à votre gueule, bougez-vous le cul !! Les Français en ont marre ! Les jeunes sont au chômage ! #detresse
C’était Cyril Hanouna. Pardon, mais on ne se refait pas. On ne passe pas d’une obsession à une autre aussi facilement. Car oui, les auteurs de cette obsession ont plus l’habitude de se salir les yeux devant la télé que les mains dans les urnes. Mais du plateau d’Hanouna à la brochette de candidats à « la primaire ouverte de la droite et du centre », il n’y a en fait qu’un pas que nous allons franchir ainsi : hop. Foin des artifices télévisuels et place à la politique, à la chose publique, place à la vie réelle, aux vrais gens, à la vérité du… Oh mais, attendez, vous les avez déjà vus en chair et en os, vous, les candidats de la primaire de droite ? Sont-ils autre chose qu’un reflet dans l’œil des médias ? Et pourtant l’un ou l’une d’entre eux sera président(e) de la République dans moins d’un an. Ou pas. Ou sera au second tour. Ou pas. Ou… Bref, le compte à rebours a commencé : J moins 66.
J moins 66 avant que, le 27 novembre prochain, le deuxième tour de la primaire de droite révèle le nom de son champion. D’ici là et vu les saloperies qu’ils s’échangent déjà, Les Républicains auront certainement le temps de regretter de s’être jetés dans cet exercice démocratique qu’avait inauguré le Parti socialiste en 2011. La course est lancée ce mercredi 21 septembre avec la publication de la liste des candidats par la haute autorité mise en place pour l’occasion. Et la campagne officielle démarre aujourd’hui itou pour Jean-François Copé, François Fillon, Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet, Bruno Le Maire, Jean-Frédéric Poisson, Nicolas Sarkozy… mais finalement sans Hervé Mariton.
Alors, histoire de ne pas risquer l’hydrocution, on s’y est mis tout doucement à la politique, d’abord un orteil, puis deux et dans un bain qu’on connaît bien : celui de la télé. Celui de Sarkozy à la télé. Celui de Sarkozy et la télé. Sa chère télé, la télé qu’il a rêvé de diriger, celle qu’il a triturée, tripatouillée pendant son quinquennat. Ses chers journalistes, ce métier qu’il aurait tant aimé embrasser, ces journalistes qui l’ont porté aux nues avant de le piétiner.
Quel meilleur homme politique pour inaugurer l’arène de France 2, le 15 septembre dernier ? Quel meilleur écrin que la nouvelle émission politique du service public pour accueillir l’ex-Président, voire le futur ? L’Émission politique, ça s’appelle d’ailleurs, en toute simplicité, comme s’il ne pouvait y en avoir d’autres, alors qu’elles fleurissent partout à l’approche de la présidentielle. L’Émission politique arrivée, auréolée d’une odeur de soufre avec sa polémique qui va bien et de promesses d’irrévérence.
Dès le duplex depuis le 20 heures, le présentateur du JT Julian Bugier aguiche, parlant carrément d’une émission sans filet
tandis que Pujadas acquiesce : Pas de petites phrases, pas de politique politicienne.
Wow, ça tombe bien, c’est exactement ce qu’on veut faire, figurez-vous, aux Jours. On allait donc voir ce qu’on allait voir. On a vu. La même chose que d’habitude. Le même Sarkozy qu’il y a cinq ans, le cheveu légèrement blanchi, comme saupoudré à la va-vite de farine façon Au théâtre ce soir, pour prendre une de ses émissions fétiches, lui le thuriféraire de la télé des années 1960-1970. Les mêmes chemises à lourds boutons de manchette, les mêmes complets de demi-sel, avec la même veste dont il tire les revers quand il dit Général de Gaulle
, comme pour s’adapter au costume trop grand. Les mêmes fameux tics, pourtant contenus au prix d’un effort qui fait mal à voir, et qui reviennent, bam, lui manger le visage, à l’annonce du sondage de fin d’émission qui dira s’il a convaincu ou non.
Le même Sarkozy des racailles
dont il allait débarrasser
la France de 2005 pointant désormais son Kärcher vers les jihadistes, les fichés S, tous dans le même sac : rétention administrative
, qu’on leur enlève leur nationalité
, qu’on les envoie dans un centre et ils n’en sortent que quand leur cerveau a été remis à l’endroit
. Sarkozy qui exige un parquet spécialisé dans le terrorisme qui existe déjà. Sarkozy et l’affaire Bygmalion qui s’estime mis en examen, on ne rit pas, pour le seul délit formel de dépassement du plafond de campagne
. Formel
. Bref, Sarkozy et ses approximations, contre-vérités et autres arrangements avec la réalité. Et pourtant, promis-juré, il a changé : Eh oui, les épreuves, le regard des autres, tous ces événements que j’ai connus, ça m’a enrichi. Je suis moins binaire.
De l’autre côté de la table, malgré une pugnacité de façade, David Pujadas et Léa Salamé laissent passer les énormités. Ce qui n’empêchera pas, comme dans une mécanique bien huilée, Nicolas Sarkozy, dès le lendemain, en meeting à Mandelieu-La Napoule, de lâcher devant la foule en délire : J’ai passé une tellement bonne soirée hier soir au cœur de la pensée unique qui vous explique ce que vous avez le droit de penser et de dire ! On se demande bien où ils trouvent une telle arrogance…
Des propos rapportés, comme il se doit, par Le Figaro.
C’est à croire qu’en cette semaine de pré-campagne officielle, chacun de nos Grands primaires avait, à l’image de Nicolas Sarkozy décrochant le nouveau grand machin politique de France 2, choisi son média pour s’en faire un sursignifiant réceptacle. À deux exceptions près : question exposition médiatique, le désormais out Hervé Mariton et Jean-Frédéric Poisson sont pour l’heure au niveau de leur poids politique dans la primaire de droite, c’est-à-dire au ras des pâquerettes.
Mais prenez François Fillon. Dimanche matin, on l’a vu, lui en veste anthracite de circonstance et cernes de cire, au funérarium du Grand Rendez-Vous Europe 1 - i-Télé - Les Échos (ou bien est-ce l’inverse) interrogé par Nicolas Barré, directeur de la rédaction des Échos, et Michaël Darmon, d’i-Télé, en idoines costumes gris deuil, pendant que Jean-Pierre Elkabbach, à peine momifié, faisait déjà l’oraison des ambitions présidentielles de l’ancien Premier ministre.
Nathalie Kosciusko-Morizet, elle, a décidé de verser dans un de ses moments de grâce
(c’est ainsi que, dans Elle, elle décrivait ses trajets en métro à Paris, les usagers de la ligne 13 en rient encore) dont elle a le secret. Point, cette fois, de pose façon sylphide, harpe incluse, dans Paris Match, ni de clope fumée avec des SDF, mais une vidéo postée sur Twitter pour remercier ceux qui lui ont permis d’être de la primaire. « Voilà ça y est, chuis candidate à la primaire de la droite et du centre, dit-elle, filmée en plongée. J’étais en train de réfléchir à tout ça, j’étais en train de vous écrire un mail et puis je me suis dit que j’allais plutôt vous le dire directement : merci. » Une vidéo dont la réalisation et l’écho de la voix de NKM évoquent, au mieux, celles tournées par les candidats d’Un dîner presque parfait quand ils daubent sur les talents de leur hôte et, au pire, une mise en scène depuis les cabinets de son QG de campagne.
Alors que la campagne de la primaire de droite ne fait que démarrer, tous sont déjà au paroxysme d’eux-mêmes, ça promet pour les deux mois qui viennent. Bruno Le Maire, oui, celui du « renouveau avec Bruno ». Son discours dominical depuis le camping Le Castellas, à Sète, en bras de chemise, micro en main et sans notes à ce qu’il paraît, a exalté les campeurs. Un discours, que dit-on là ? Sur son site de campagne, on parle carrément de la keynote
. Eh ouais, comme pour présenter le nouvel iPhone. Normal, après tout, pour un Bruno Le Maire qui se présente désormais en « BLM » façon nouvelle scène rap française, de PNL à MHD.
Ainsi Alain Juppé qui poursuit son bonhomme de chemin, ou plutôt son chemin de bonhomme destiné à prouver à la France entière qu’il y a un cœur qui bat derrière les bottes dans lesquelles il se tenait droit en 1995, qu’il est sympa, mais alors super sympa et pas froid, mais alors pas froid du tout. La preuve dans son livre numérique mis en ligne la semaine dernière :
Sex and drugs and hareng pommes à l’huile. Mais il fait des efforts, Juppé, ça se sent aux images matraquées le montrant veste sur l’épaule voire – et pour lui, ça équivaut à se scarifier les tétons en public – carrément en chemise. Tellement cool, le Juppé, que, lors de son discours de Strasbourg dimanche dernier, il a salué Jacques Chirac qui Froid
? Parlez-en aux anciens de la “bande du XVIIIe” et aux patrons des bistrots où nous avions l’habitude de nous retrouver ! Je rêve toujours du hareng pommes à l’huile de La Pomponnette, en haut de la rue Lepic.nous regarde sur YouToube
(oui, il dit « YouToube », Juppé).
Prenez Jean-François Copé, dont chaque apparition médiatique semble relever du bêtisier. Dimanche, l’illustre Meldois chassait. Ou du moins accompagnait des chasseurs venus dégommer du faisan pendant que lui, la botte souple dans la terre grasse, le pull camionneur ouvert et la main dans la poche, dézinguait rivaux et ayatollahs zélés
de la Commission européenne. Pensée aux journalistes venus couvrir ce boueux événement.
Chacun des Grands primaires est à sa place. Moteur, action.
Mis à jour le 21 septembre 2016 à 13 heures : nous sommes au regret de vous annoncer la disparition d’Hervé Mariton de la primaire de droite. C’est ce qu’a annoncé Anne Levade, la présidente de la haute autorité ad hoc. La participation à la primaire était suspendue au soutien de 2 500 adhérents au parti Les Républicains, mais ceux-ci devaient « être répartis sur au moins quinze fédérations départementales différentes, sans que plus d’un dixième des signataires de la présentation puissent être issus d’une même fédération » selon la charte de la primaire. Ce qui n’était pas le cas de Mariton dont, selon « Libération », plus de 10 % des soutiens venaient du département de la Drôme dont il est le député. Salut l’artiste.