L’étendue de la pagaille donne une idée de la puissance de l’influence. Jeudi soir, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, l’examen en première lecture du projet de loi de finances 2020 entre dans sa phase finale. Quelques dizaines de députés sont présents en séance, commencent à bailler, ont déjà organisé leur soirée. Puis l’amendement 29.01 est mis au vote. Il stipule que « les produits à base d’huile de palme ne seront plus considérés comme des biocarburants à compter du 1er janvier 2026 ». Le rapporteur du texte émet un avis défavorable mais le gouvernement, représenté ce jour-là par Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, y est favorable. Le vote à main levée aussi. L’amendement est adopté, sans aucun débat. On ne saura pas par combien de voix, ni quels députés ont voté pour ou contre : le scrutin n’est pas public.
Cette courte phrase de l’amendement change tout. Elle introduit un horizon de cinq ans qui n’existait pas. Fin 2018, la loi de finances précédente stipulait que l’huile de palme n’était plus considérée comme un « biocarburant » (lire l’épisode 18, « Huile de palme : multiples pressions à froid ») et l’excluait ainsi, dès le 1er janvier 2020, d’une catégorie de carburants bénéficiant d’une niche fiscale très avantageuse. La défiscalisation de l’huile de palme est devenue progressivement intenable face à ses nombreuses conséquences environnementales. À grands coups de tronçonneuses, la culture de l’huile de palme est responsable d’une déforestation massive, en Indonésie et en Malaisie notamment, qui représentent à eux seuls 85 % de la production mondiale. Cette déforestation détruit la biodiversité, contribue à la disparition des gibbons et des orangs-outans et aggrave le changement climatique

L’amendement voté jeudi soir a immédiatement suscité de vives protestations de la part des ONG, mais aussi dans les rangs de la majorité et de nombreux autres groupes politiques. Membre de la commission des finances et du bureau exécutif d’En marche, Laurent Saint-Martin estime que « le vote de cet amendement a été confisqué, dans des conditions de débat qui ne sont pas acceptables ». Matthieu Orphelin, ancien porte-parole de la Fondation Hulot, qui a quitté LREM, dénonce un « recul déplorable (et en catimini) ». Bruno Millienne, député Modem, se dit « un peu (beaucoup) dégouté… ». Vendredi, l’idée de revoter est acceptée par la commission des finances puis validée par Matignon.