I l ne manquait que l’invasion de sauterelles ravageant la capitale. Après l’adoption de la loi Alur, les lobbies annonçaient le pire : « Il faut en finir avec les tentations de gestion administrée de l’économie du logement. (…) La mise en œuvre prochaine de l’encadrement des loyers à Paris laisse craindre une insécurité juridique majeure et l’arrivée d’une vague de contentieux sans précédent. » Dans ce communiqué du groupe immobilier Foncia, daté du 31 mars 2015, son président, François Davy, ne lésine pas sur les mots. Mais la suite de l’histoire ne s’est pas vraiment déroulée comme il le prédisait. Pendant deux ans, les loyers ont été encadrés à Paris, sans la kyrielle de recours en justice annoncés. Les loyers ont stagné et les fortes hausses ont été contenues, surtout pour les petites surfaces (une à deux pièces). Comme nous l’expliquions dans l’épisode précédent, les lobbies des propriétaires se sont pourtant fortement opposés à cette mesure, persuadés qu’elle représentait un danger pour eux – et se sont donc réjouis des deux annulations récemment prononcées par la justice administrative à Lille et à Paris. Ils ne furent pas les seuls à lutter contre l’encadrement des loyers. Les agents immobiliers ont, eux aussi, participé à cette vaste entreprise de lobbying. Jusqu’à trouver un écho au plus haut sommet de l’État.
La scène se déroule en conseil des ministres, le 26 juin 2013. Elle est racontée par Cécile Duflot, dans son livre qui retrace ses deux années au gouvernement, entre 2012 et 2014. Ce jour-là, celle qui est alors ministre du Logement, présente la loi Alur (pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) devant les membres du gouvernement et le président de la République, François Hollande. À l’issue de sa prise de parole, le chef de l’État lui inflige une douche froide : « Les agences immobilières sont mécontentes : y a-t-il vraiment eu une concertation ? L’encadrement des loyers, est-ce vraiment une bonne chose ? », s’interroge-t-il, selon les propos rapportés par Cécile Duflot, qui s’attendait au soutien du locataire de l’Élysée. En interpellant ainsi la ministre, François Hollande se contredit lui-même : il met en doute la nécessité de son propre engagement de campagne, le numéro 22. Et se transforme en porte-voix des lobbies qui luttent sans relâche contre l’encadrement des loyers depuis l’annonce du projet de loi.

« Le secteur immobilier, c’est deux millions d’emplois. Les pouvoirs publics y sont forcément sensibles », rappelle Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du management des services immobiliers et ancien dirigeant de Foncia entre 1999 et 2006.