Comment survit-on à la présidence de Trump ? Aline, Joe, Martha, Dante, ces habitants de Chicago que Les Jours ont suivis pendant la campagne, organisent à leur manière une forme de résistance. Chaque semaine, l’un d’entre eux nous donne des nouvelles d’Amérique.
«Cela fait plus d’un mois maintenant, et le monde n’a pas encore explosé. Ça me donne de l’espoir. Peut-être pouvons-nous encore survivre aux 47 mois restants. Ou 95.
J’évite de prononcer le nom. Je ne l’accolerai jamais au titre de président. À la différence des sorciers traumatisés dans Harry Potter, ce n’est pas par crainte que j’évite de dire son nom, plutôt par retenue face à un narcissique qui aime tellement l’entendre.
Cela dit, j’ai peur. Assez peur pour vous avoir demandé de ne pas citer mon nom de famille. Assez même pour avoir hésité à écrire sur ce sujet. J’ai honte de ma lâche hésitation, d’autant plus que ma famille est plus éloignée de tout danger immédiat que la plupart des gens. Blancs, classe moyenne supérieure, citoyens américains : je reconnais que nous sommes privilégiés. Le fait que j’aie quand même peur démontre donc soit que je souffre d’un cas de paranoïa non diagnostiquée, soit à quel point la situation est devenue effrayante et incertaine.
Mon mari est juif. Il y a dix-huit ans, lorsque je l’ai épousé, j’ai pris son nom, même s’il est moins joli que le mien, car je voulais avoir ce nom en partage avec nos futurs enfants. À l’époque, je me souviens de m’être dit : “Bon, j’imagine que je ne verrai jamais les pyramides.” Je ne pensais pas que je me sentirais un jour tranquille de voyager au Moyen-Orient avec un nom juif. Cela m’allait, ça me va toujours. Mais depuis les élections, des croix gammées sont apparues dans nos parcs, sur nos métros, et je me demande si le jour viendra où le nom que j’ai pris me mettra en danger au pied de la Sears Tower.
J’admets que mes craintes pour ma propre sécurité physique ou celle de ma famille ne concernent pas le futur proche. De nombreuses atrocités auront lieu avant que l’attention de ce président se porte sur nous. De manière plus immédiate, j’ai peur pour nos amis musulmans. La meilleure amie d’école de ma plus jeune fille a un père musulman et une mère juive. Quand j’entends parler d’un fichier des musulmans, je suis saisie d’effroi et j’imagine nos amis vivre dans notre cave. Lorsque l’interdiction d’entrée aux États-Unis a été prononcée, j’avais l’impression que ce n’était qu’une première étape.