«Il n’est pas attendu de déséquilibre thyroïdien majeur car les deux formules du Levothyrox sont bioéquivalentes. Cependant, des variations biologiques et cliniques risquent d’être observées », écrit Isabelle Yoldjian, chef de produit endocrinologie à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans un mail confidentiel du 18 octobre 2016 adressé à des membres de la Société française d’endocrinologie (SFE). Nous sommes cinq mois avant le lancement de la nouvelle formule du Levothyrox, en mars 2017, qui va provoquer des effets secondaires chez plusieurs dizaines de milliers de malades. À lire ce message, l’Agence du médicament ne semble pas particulièrement redouter les dangers d’un tel « switch » concernant près de 3 millions de personnes ingurgitant du Levothyrox quotidiennement. Et ce même si le fabricant, le laboratoire allemand Merck, est en situation de monopole sur le marché français, ce qui prive les patients d’alternatives en cas de problème.
En 2010 et 2011, des génériques à base de lévothyroxine avaient déjà provoqué des crises similaires. À l’époque, Merck participait à des réunions à l’ANSM pour dire qu’il fallait se méfier des génériques. Cinq ans plus tard, ils font exactement la même chose avec leur nouvelle formule et l’Agence laisse passer !
Six ans plus tard, l’heure est au mea culpa. Comme nous le révélions le 14 septembre sur Les Jours (lire l’épisode 24, « Effets secondaires du Levothyrox : la responsabilité primaire de Merck »), le professeur Philippe Lechat, qui a signé la lettre de commande de la nouvelle formule du Levothyrox en 2012 alors qu’il était directeur de l’évaluation à l’Agence du médicament, a publié le 19 août un article dans une revue scientifique reconnaissant que l’étude de bioéquivalence réalisée par le laboratoire Merck ne démontrait qu’une bioéquivalence moyenne. Inopérante sur le plan individuel, cette faille explique, selon lui, les nombreux signalements d’effets secondaires au cours de l’année 2017. Elle n’a pas été repérée par l’ANSM, qui a suivi à la lettre les conclusions du laboratoire, mais par le biostatisticien Didier Concordet et le pharmacologue Pierre-Louis Toutain, en 2019, qui ont remouliné toutes les données de l’étude (lire l’épisode 20, « Levothyrox : une étude confirme le laxisme de Merck et de l’ANSM »). Le 22 septembre, dans une interview au Parisien, le professeur Lechat va même jusqu’à expliquer que la crise était « prévisible ». « Il s’est passé avec ce médicament ce qui devait se passer » car la méthode pour tester la nouvelle formule n’était pas la bonne.
Cette déclaration a fait bondir les associations de malades.