Sur les chaises en plastique installées dans la salle des fêtes, Oumou, Sabrina et Nathalie attendent qu’on appelle leur numéro. Deux fois par semaine, de novembre à mars, les Restos du cœur organisent une distribution de nourriture au centre social du quartier Concorde, à Lille. Les trois femmes ne se connaissent pas et n’ont en commun que leur lieu de résidence : les blocs de l’autre côté de la rue. Un petit centre commercial trône au milieu des trois immeubles mais la supérette, le marchand de légumes et le boucher ne sont pas pris d’assaut. « Trop chers », explique Sabrina, enceinte de quatre mois, qui camoufle son ventre sous un long manteau et une djellaba. Le boulevard de Metz n’est pas un village où l’on fait ses courses en traînant son cabas au milieu de ses voisins.
Ici, la précarité règne et quand on a payé le loyer et les charges, il ne reste plus grand-chose. « J’ai déjà pas assez pour les payer toutes, les factures », souligne Nathalie, 48 ans, dont quarante-cinq dans le bloc où elle habite encore. Alors, rapidement, les associations comme les Restos du cœur, le Secours populaire ou la Croix-Rouge s’imposent pour remplir un frigo trop vide. Tous se souviennent de leur première fois. Il a fallu entrer dans la salle, remplir les papiers d’inscription et affronter le regard des autres. Ce jour-là, Sabrina a pleuré. Nathalie, elle, est revenue plusieurs fois sur ses pas, puis s’est convaincue : « Si ce n’était pas moi, ce serait quelqu’un d’autre. »
Boulevard de Metz, la distribution des Restos du cœur est devenue banale, ou presque. Entre voisins de palier, on discute sans honte des dates d’ouverture des inscriptions. Plus de 250 familles sont couchées sur le fichier, soit 650 personnes, quasiment 10 % de la population totale du quartier Faubourg de Béthune (7 800 habitants). Mais Thierry Van Heddegem, le responsable de l’antenne des Restos, précise que le gros des bénéficiaires vient des barres de Concorde.
Dans d’autres quartiers, l’association organise deux distributions par semaine – « Histoire de créer du contact », explique Thierry Van Heddegem. Ce n’est pas le cas ici. Face au nombre d’inscrits, l’association a dû scinder son fichier en deux : la moitié le mardi, l’autre le jeudi, de 9 heures à 11 heures. D’ordinaire, les bénévoles peuvent proposer des produits qui ne sont pas de première nécessité et proviennent de la « ramasse » – les dons des supermarchés. Mais ici, des supermarchés, il n’y en a pas. Ou en tout cas pas