«Ne me prenez pas en photo, j’ai une sale tête. » Elle est pourtant venue, en ce soir glacial de février, malgré la fatigue et la fièvre. Alessandra Machado traverse au pas de course la salle du centre social du quartier Concorde, embrasse de loin la quarantaine de femmes qui se tiennent déjà là en tenue de sport. Les premières notes de musique latino survitaminée ne tardent pas à remplir l’espace. Sur l’estrade, la quadragénaire à l’épaisse frange brune et au sourire communicatif n’économise pas son énergie, et entraîne ses élèves dans une chorégraphie endiablée. La zumba est pour elle bien plus qu’une simple activité physique. C’est à travers elle qu’Alessandra tente de rassembler depuis une dizaine d’années des femmes de communautés et de quartiers différents, de créer du dialogue. Ainsi, ces deux inspectrices des impôts se sont prises de passion pour une culture qui autrefois les mettait mal à l’aise en arrivant pour la première fois boulevard de Metz pour les cours d’Alessandra.
Prôner la différence et la diversité. Le mantra d’Alessandra prend sa source dans son histoire personnelle, plurielle et métissée. Une histoire qui commence au Brésil, dans la ville de Valença, près de Rio de Janeiro, où elle est née et a grandi, « du mauvais côté de la barrière ». Dès l’âge de 9 ans, Alessandra vend des montres en porte-à-porte pour aider sa mère. « La vie était très dure pour elle et pour moi. La dictature militaire, c’était trente ans d’oppression. Tout manquait, tout était difficile. » À 24 ans, elle ne pense plus qu’à une chose : « se barrer ». Et offrir un autre avenir à ses trois filles. En 1997, alors qu’elle travaille dans un restaurant français, des clients lui proposent un travail saisonnier en Corse, toujours dans la restauration. Alessandra saute sur l’occasion. « Quand je suis repartie dans mon pays avec 31 000 francs (environ 4 700 euros), je me suis dit : “La France, c’est mon Amérique, il faut que je retourne là-bas pour travailler.” »

Alessandra retourne en France dès l’année suivante, puis débarque à Lille. Elle ne parle pas un mot de français. Ne connaît personne. La jeune Brésilienne découvre les quartiers défavorisés de la ville : Lille-Sud, Moulins, et bien sûr boulevard de Metz. Qui, même après avoir habité dans les beaux quartiers du Vieux-Lille, gardent sa préférence.