De briques
et de blocs

Après le décès de son père en 1999, Ali Bouri quitte l’Algérie, où il est né et a toujours vécu, pour s’installer dans le quartier Concorde 2. Il vient de décrocher un CDD après plus de quatre ans de chômage, et espère que ce nouveau travail va lui permettre de changer de logement. À ses heures perdues, le quinquagénaire fabrique des toiles à partir de vieux draps et de planches, et peint des tableaux. « Surtout des paysages, la nature, c’est ce que je préfère. » Cuisiner est sa deuxième passion, surtout les plats qui lui rappellent l’Algérie. Il compte bientôt se remarier et la taille de son studio le désespère : « Ici, c’est trop petit pour vivre à deux. »

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Mouad et Ihlan viennent tous deux de Djibouti. Mouad vivait déjà dans son petit appartement du quartier Concorde 2 quand ils se sont rencontrés, alors qu’Ihlan faisant ses études à Rouen. La famille s’est installée définitivement à Lille, puis s’est agrandie avec la naissance de Fadh en 2013, et d’Ilyan le 8 novembre dernier. Quatre personnes qui se partagent un deux-pièces exigu. Une chambre pour tout le monde, et, faute de place, aucun lit pour Ilyan, qui doit donc partager celui de ses parents. Mouad a commencé une formation en menuiserie en décembre et espère bien trouver ensuite un travail. Il veut mettre toutes les chances de leur côté pour enfin pouvoir changer de logement.

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Cela fait vingt ans que Cathy habite Concorde 2. Pas vraiment par choix. Elle est arrivée seule en 1995, enceinte de son premier enfant. Deux ans plus tard, elle emménage dans l’appartement qu’elle occupe encore aujourd’hui. Depuis, ils sont trois : Cathy et ses deux fils, Alexy et Anthony (plus leurs trois chats). On est un peu à l’étroit dans son T3. Elle a recouvert les murs du salon de ses peintures et de celles de ses enfants. Comme pour s’approprier l’appartement, ou pour détourner l’attention des câbles dénudés et des taches de moisissure. « Quand on arrive ici, on est coincé à vie, ou presque », déplore-t-elle. À 42 ans, Cathy a bien essayé de quitter le quartier ou d’emménager dans plus grand, mais « administrativement, suivre les papiers, c’est difficile ». Elle a dû arrêter de travailler suite à des problèmes de santé. Comme un tiers de ses voisins, elle touche le RSA.

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Marie-Odile connaît tout le monde dans le quartier, mais pas ses voisins. Elle déplore l’absence de relations avec ceux qui partagent son palier. Mais elle « n’aime pas les trucs de groupe » : « Je suis individualiste », reconnaît-elle. Depuis qu’elle est à la retraite, cette ancienne infirmière de 65 ans occupe ses journées entre la messe, la piscine et les courses. Sans oublier ses petits-enfants, qu’elle garde le mercredi. Tout ça quand elle ne rentre pas au Congo, son pays de naissance, pour échapper à l’hiver.

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Quand elle est arrivée d’Algérie à l’âge de 7 ans, Fatiha Mifak ne parlait « pas un mot de français ». Aujourd’hui âgée de 48 ans, elle maîtrise parfaitement la langue. Elle dirige l’association Perspectives et s’investit pour que les enfants qui grandissent à Concorde 2, le quartier de son enfance, s’en sortent comme elle s’en est sortie. Pour ça, elle compte sur l’implication des parents. Souvent, ils n’ont pas les ressources économiques et culturelles pour accompagner leurs enfants dans leur scolarité. Les parents « ne savent pas forcément qu’ils ont leur place à l’école ». Aide aux devoirs, sorties culturelles, apprentissage de la laïcité… Fatiha Mifak veut transmettre aux parents les codes pour être présents au mieux pour leurs enfants.

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Rien ne compte plus aux yeux de Rahma Fettouch que la réussite de ses deux enfants, Yasmine, 12 ans, et Achraf, 11 ans. Elle veut leur éviter à tout prix la vie qu’elle a eue. Femme de ménage dès l’âge de 12 ans en Algérie, elle est arrivée en France en 1999. Mais elle n’a commencé à apprendre le français qu’il y a une dizaine d’années – elle le maîtrise toujours mal. Elle tente de concilier réussite scolaire de ses deux collégiens et transmission de sa langue natale. À l’entendre, elle doit tout à Fatiha Mifak, directrice de l’association Perspectives : son français autant que les bonnes notes de ses enfants. Ces derniers se voient déjà avocate et médecin, mais Rahma Fettouch, 47 ans, sait que la route ne sera pas facile. Avec son allocation Pôle emploi et le salaire de son mari, agent de sécurité, le coût des études s’annonce lourd.

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À 12 ans, Yasmine a eu les encouragements du conseil de classe, au premier trimestre de cinquième. Son petit frère, Achraf, a fait son entrée au collège avec les félicitations. Une pression supplémentaire pour Yasmine qui sort d’une année difficile. Les deux enfants de Rahma Fettouch font la « compétition », raconte leur mère, amusée. La collégienne vient de lui annoncer que, plus tard, elle voulait être avocate.

Retrouvez tous les épisodes avec Yasmine Harchaoui.

Depuis ses cinq ans, Achraf rêve d’être « docteur » pour « aider les gens ». Et, d’après ses brillants résultats, le garçon de 11 ans s’en donne les moyens. Fortiche en maths et ennuyé par l’histoire, l’élève de sixième masque à peine sa fierté de n’avoir « que des bonnes notes ». Avec sa grande sœur Yasmine, ils aiment se chamailler, mais se serrent toujours les coudes pour donner à leur mère la meilleure image d’eux-mêmes.

Retrouvez tous les épisodes avec Achraf Harchaoui.

En 1998, Alessandra a à peine 24 ans quand elle décide de tout quitter : sa famille, ses trois filles et son Brésil natal. Elle part travailler en France, « [s]on Amérique », prête à tout pour offrir un avenir meilleur à ses enfants. « C’était pas : “Ah tiens, je vais aller vivre là-bas.” Non, je voulais m’échapper. J’étais une migrante économique. » De relations pas toujours heureuses en petits boulots, la jeune femme se forge une identité française plurielle. Avant d’adopter officiellement la nationalité française en 2005, après son mariage. Depuis dix ans, elle anime des cours de zumba dans le quartier Concorde 2, avec lequel elle entretient un lien particulier. « C’était mon premier point en arrivant à Lille, quand je vivais rue du Bas Jardin. J’ai trouvé des gens chaleureux, curieux de ce que j’étais. »

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Nathalie a 48 ans, dont quarante-cinq passés sur le boulevard de Metz. Quand on lui demande si elle est attachée au quartier de son enfance, cette grande bavarde s’esclaffe : « À quoi voulez-vous que je sois attachée ? » Pendant vingt-deux ans, elle a rempli des formulaires pour quitter son appartement. Et ça a marché. Elle a déménagé trois fois, mais toujours dans le même immeuble. D’abord sept étages plus bas, puis la porte d’en face. Depuis, elle s’est fait une raison et a repris l’appartement de sa mère. Au RSA « par choix » depuis la naissance de sa cadette il y a douze ans, elle se rend le mardi aux distributions des Restos du cœur. Elle dit se « foutre des autres »… mais fait partie de l’équipe de bénévoles qui gèrent la salle paroissiale en bas de l’un des blocs, et a longtemps donné un coup de main au Secours populaire.

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Sadia est l’une des adhérentes les plus assidues de l’Espace santé du Faubourg de Béthune. « Je suis arrivée en ne connaissant personne, j’en suis ressortie en ayant une famille. » Cette femme de ménage de 52 ans, « Française de père arabe » qui a grandi dans une cité ouvrière du Nord, vit depuis une quinzaine d’années dans le quartier. Avec Sadia, notamment, elles sont une vingtaine de femmes à s’être vues attribuer le rôle d’« ambassadrices santé », qui consiste à faire de la prévention avec les habitants du quartier, à les aider à prendre soin d’eux-mêmes.

Retrouvez tous les épisodes avec Sadia.

Affable et vêtu d’un élégant pull de Noël, Gérald Tramcourt n’est pas forcément celui à qui on s’attend avant de s’entretenir avec un représentant de LMH. Ce grand roux est à l’étroit dans le petit bureau aux parois vitrées dans lequel il nous reçoit. Lui et le reste de l’équipe du bailleur social sont arrivés dans le quartier il y a à peine deux ans. Pas assez de temps pour être complètement blasé. Conscient des difficultés qui existent dans le quartier du faubourg de Béthune, qui inclut le boulevard de Metz, Gérald Tramcourt tente de livrer une analyse équilibrée du quartier. Mais sa balance finit souvent par pencher en faveur de LMH.

Retrouvez tous les épisodes avec Gérald Tramcourt.

En 1971, Yamina emménageait au 2-12 boulevard de Metz. Elle avait 17 ans et depuis, elle n’a plus quitté cette barre d’habitation. En revanche, elle a fait presque tous les étages. Son appartement préféré ? Sans hésitation celui au dernier. Mais à cause de l’état de santé de son mari, atteint de la maladie d’Alzheimer, elle a dû le quitter il y a bien longtemps pour se rapprocher du rez-de-chaussée. Il est mort il y a maintenant plusieurs années, aujourd’hui Yamina vit seule. Enfin, excepté quand ses fils viennent s’installer chez elle après une dispute à la maison. Désormais, pour être sûre qu’ils ne reviennent pas, elle a jeté le second lit aux encombrants. Au boulevard, elle ne craint pas la solitude ; comme elle le dit, après 45 ans ici, elle connaît tout le monde.

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Farida Abdelhadi est directrice de l’Espace santé depuis le début des années 2000. Jusqu’en 2001, il s’agissait juste d’une plateforme pour mener des études et enquêtes de santé publique. C’est sous l’impulsion de sa directrice, originaire du quartier du faubourg de Béthune, que l’Espace santé devient un lieu d’accueil des habitants. Année après année, la directrice a tissé un réseau de médecins bénévoles, qui tiennent des permanences dans sa structure. Farida Abdelhadi est également à l’origine du concept d’« ambassadeur santé », dont le rôle est de faire de la prévention dans le quartier. Aujourd’hui, la structure accueille 2 000 habitants chaque année. Face à ce succès, la directrice cherche des locaux plus spacieux pour remplir au mieux sa principale mission : faire accéder les habitants du quartier aux soins médicaux et au bien-être.

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Née à Oran, en Algérie, Sabrina, 28 ans, a fait des études de droit à Alger avant de venir vivre en France il y a trois ans. Elle habite le quartier depuis plus d’un an avec son fils de 18 mois, sa mère (qui touche une allocation adulte handicapé) et ses deux demi-frères. Elle vit du RSA. C’est elle qui est responsable des courses au sein du foyer. Sa mission se déroule en trois étapes : éplucher les prospectus pour trouver des promotions, passer du temps dans les transports en commun pour aller à l’hypermarché, puis organiser le stockage des victuailles dans le petit appartement. Dans quelques années, quand son fils sera plus grand, elle aimerait peut-être passer le concours pour devenir infirmière : « Je sais pas trop… Apparemment, c’est assez facile. »

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