Suède, envoyée spéciale
Kieksiäisvaara, 80 kilomètres au nord du cercle polaire. C’est une maison de bois peint au cœur d’un petit hameau, non loin de la frontière finlandaise. Dans la cour, un chien croque un jambonneau de renne verglacé, le cadavre gelé d’une perdrix pend à un crochet contre le mur de l’établi. Et une dizaine de rennes paressent et observent avec indifférence notre voiture se garer. Ils sont chez eux ici. Pour la famille Sunna, les rennes sont plus qu’une ressource économique, ou même qu’une tradition. Ils sont le cœur de leur identité sâme et les compagnons de toute une vie.
« Nous avons toujours été des éleveurs de rennes, depuis des temps immémoriaux », déclare fièrement Bo Sunna, 71 ans. Dans la famille, le métier se transmet de génération en génération. Le conflit et la rancœur aussi. Car les Sunna sont des sans-terre. Éleveurs de rennes illégaux, arpenteurs de pâturages non déclarés, ils poursuivent leur métier et leur mode de vie en marge de la société, en rêvant avec amertume aux terres et aux droits qu’ils ont perdus au fil de décennies de conflit judiciaire.
Attablés dans la salle à manger, le café fumant sur la table et un bouillon de renne mijotant sur le feu, Bo Sunna et son épouse, Britt Inger, retracent leur histoire, se perdent parfois dans la chronologie et les explications de mille et une intrications. Le frère aîné de Bo, Lars-Göran, interrompt parfois le récit pour ajouter une précision, ou une digression. Et souvent, les larmes montent, la colère aussi.