Un loft dans le XIe arrondissement de Paris, ce lundi soir : une centaine de sympathisants d’En marche se pressent, debout, pour assister à un atelier sur le travail (un « lab », en langage Macron). Bouchra Nazzal se meut entre les participants, sourit aux visages connus, salue les nouveaux. Il y a quelques mois, elle n’avait jamais fait de politique. Elle anime un comité parisien et s’occupe des actions de terrain. Elle fait partie des néophytes attirés par Emmanuel Macron. Elle est candidate à l’investiture aux élections législatives pour En marche.
Emmanuel Macron a annoncé une procédure de désignation inédite. L’ancien ministre de l’Économie, qui promet de « renouveler » le monde politique, ne peut de toute façon pas compter sur l’infrastructure et le réseau d’élus d’un parti installé dans le paysage. Tous les adhérents d’En marche peuvent donc se porter candidats, en remplissant un formulaire disponible en ligne. « Mon souhait est que toutes celles et ceux qui veulent s’engager puissent le faire », a indiqué Macron le 19 janvier, lors d’une conférence de presse à son QG, intitulée « Construire une majorité de projet », un enjeu crucial pour gouverner. Mais pour l’instant, les « ceux » écrasent les « celles ». 85 % des 2 800 candidatures émanent d’hommes. Ce déséquilibre est le reflet de notre société où le pouvoir (et peut-être le désir de pouvoir) est encore assimilé aux mâles. « C’est un constat d’échec qui me rend triste pour nous, parce que nous sommes en train de faire comme les autres. Nous sommes en train d’arriver au même résultat que ce que nous avons aujourd’hui à l’Assemblée nationale », a déploré Emmanuel Macron dans une vidéo publiée le week-end dernier, avant d’ajouter : « Il n’y a pas de fatalité pour cela. »
Depuis quelques semaines, le pourcentage circulait déjà dans les comités locaux d’En marche. Ce chiffre effare Caterina Avanza, coordonnatrice des comités du XIe arrondissement de Paris, qui regroupent 2 300 adhérents. Elle-même est italienne et ne peut donc prétendre à la députation, réservée aux Français. Elle pousse d’autres militantes à se porter candidates. « Mais tu ne peux obliger personne à avoir cette impulsion intime. » Elle a plaidé auprès de Bouchra Nazzal, par exemple. « Ce qui m’a frappée, c’est qu’elle avait besoin d’avoir le soutien des autres, l’avis des membres du comité, et de se sentir légitime. Je n’ai pas forcément vu la même demande de la part des garçons », observe-t-elle. « Emmanuel Macron, en ouvrant les candidatures, a créé un appel d’air, qui attire les ambitieux et les convaincus », constate aussi Romain, un adhérent actif du XIe. La procédure pourrait bénéficier aux femmes, alors que la politique a plutôt tendance à générer leur « ostracisation », ajoute-t-il. « Mais qui s’est précipité ? Les mecs qui à 12 ans rêvaient déjà d’être président de la République », soupire-t-il.
On ne renouvellera rien en présentant des hommes de plus de 40 ans, blancs, hétérosexuels.
Une commission décidera de la sélection des profils et des 577 investitures. Emmanuel Macron a annoncé que son mouvement « respecterait un principe de parité strict, y compris dans les circonscriptions favorables ». Outre la « parité réelle », la commission obéira à plusieurs critères : « le renouvellement », la « probité », la « pluralité politique », « l’efficacité et la clarté ». Le casse-tête s’annonce douloureux. Et cela ne risque pas de s’arranger avec les ralliements de députés (notamment PS), après la victoire de Benoît Hamon à la primaire de gauche. Les militants d’En marche, et surtout les novices, expriment une attente très forte sur le sujet et refusent de voir leur mouvement confisqué par des professionnels de la politique. Ils parlent volontiers d’une « prime à la nouveauté ». Très souvent, dans les réunions auxquelles j’ai assisté, la question du choix des candidats a surgi (lire l’épisode 1, « Les apprentis »). « Moi, je n’étais pas préparée à me poser la question d’une candidature, me confie Bouchra Nazzal, qui apprécie la méthode proposée par Macron, même si, elle le sait, cela va « réveiller beaucoup de monde et susciter de l’opportunisme, les candidatures vont pleuvoir ». « Que faire si on se retrouve avec un parachuté ? », se demande aussi Caterina Avanza. La question a été abordée lors d’une discussion des animateurs de l’arrondissement. « Quand on demande aux adhérents pourquoi ils viennent à En marche, il nous disent qu’il y a enfin “du frais”. Il faut prendre garde à ne pas se retrouver qu’avec ceux qui ont l’habitude, se méfie Caterina, ceux qui ont les codes. » Des hommes, principalement.
À l’heure actuelle, 73 % des députés sont des hommes. Les commissions d’investiture des grands partis demeurent verrouillées par des hommes et fonctionnent encore souvent comme des machines à exclure les femmes, favorisant les sortants, installés aux avant-postes. « On ne renouvellera rien en présentant des hommes de plus de 40 ans, blancs, hétérosexuels », me dit Romain, qui éprouve lui-même le « confort » d’être un homme blanc de moins de 30 ans et soutient les candidatures féminines de l’arrondissement. Dans sa vidéo, Emmanuel Macron reconnaît « le droit de préséance dont bénéficient les hommes dans notre société » (et admet en bénéficier lui aussi), et invite les femmes à combattre « l’autocensure ». « Réveillez-vous. Discutez-en. Réfléchissez jusqu’au bout. L’engagement politique, ce n’est pas toujours pour les autres », conclut-il.
Bouchra Nazzal a d’abord pensé que ce n’était pas vraiment pour elle. Elle a fait savoir qu’elle avait sa vie de famille, avec trois petites filles âgées de 6 ans à moins de 2. Aujourd’hui, à 41 ans, elle s’apprête à poster sa lettre de motivation et son CV en ligne. Quand je l’ai rencontrée la semaine dernière, elle en parlait encore au conditionnel. Elle n’a jamais adhéré à un parti politique, n’a jamais été encartée. Elle dit avoir des « valeurs de gauche », mais s’est souvent retrouvée à voter « contre », sans enthousiasme. Elle travaille à la direction financière du ministère de l’Économie et s’est sentie « séduite » par Macron « sur la forme et le fond », et, précise-t-elle, « avant sa poussée de notoriété ». Elle qui a suivi sa scolarité en ZEP (zone d’éducation prioritaire) dans l’agglomération de Bordeaux, puis est entrée dans une école de commerce à Paris, a navigué entre le privé et le public, apprécie la promesse de « dépasser le clivage droite-gauche sur l’économie, le travail… ». Franco-marocaine, elle salue aussi l’hostilité affichée du ministre Macron à la proposition de déchéance de nationalité formulée par François Hollande pour les terroristes, après les attentats du 13 novembre.
Elle s’est inscrite sur le site d’En marche quelques jours seulement après le lancement du mouvement, au début du mois d’avril 2016 à Amiens. « J’ai adoré très vite. Pourtant, je ne suis pas facile à embrigader », explique-t-elle. Elle s’est montrée prudente et le demeure, comme si à chaque étape, elle pouvait être déçue : « L’idée que l’inscription soit si facile m’a aidée, je pensais que je pouvais me désinscrire très vite si cela ne me plaisait pas. » Bouchra a laissé son nom et a été recontactée au printemps dernier pour faire du porte-à-porte dans le cadre de la « grande marche ». « On m’a dit : “C’est samedi.“ J’ai dit : “Non, samedi, j’ai des trucs en famille.” Je n’avais pas l’habitude, je ne savais pas que ça se faisait comme ça dans la politique », s’amuse-t-elle à présent. Elle m’a donné rendez-vous dans le café du XIe où les pionniers d’En marche se retrouvaient avant de s’ébrouer dans le quartier et de toquer aux portes des appartements. Cela lui rappelle des bons souvenirs. « Au début, j’étais un peu sceptique sur la valeur ajoutée de l’opération : qu’allait-on apprendre de plus ? Le diagnostic sur l’état de la France, on le connaît. Mais je voulais essayer. » Elle a fait un porte-à-porte, puis deux, puis trois, puis plein : « On était hors période électorale, on n’avait rien à vendre aux gens. Dans ces discussions, j’ai très frappée du rejet de la classe politique », rapporte-t-elle.
Elle s’est impliquée pas à pas, intéressée par la structuration du mouvement. Bouchra anime un comité du XIe, qu’elle a créé et qui aujourd’hui compte une cinquantaine de membres, organise des ateliers thématiques, gère les tractages, la présence sur les marchés… Et à présent, future députée ? « Je ne me suis pas préparée à ça. Je ne suis pas au taquet comme certains qui ont déjà envoyé leur candidature, écrit leur lettre de motivation à peine quelques heures après la mise en ligne. Si on devient députée alors qu’on vient de la société civile, on bascule, on change d’univers. » Elle semble prête.
Le proportion ridicule de candidatures féminines l’a également motivée. « C’est vrai, de voir les femmes sous-représentées, cela m’a donné envie d’y aller. Je crois aussi à l’effet boule de neige. » Elle-même a été encouragée parce que le « référent » de l’arrondissement, chargé de chapeauter tous les comités, est une femme. « Sur tout le territoire, sur 10 000 personnes qui ont répondu à un appel du QG pour s’impliquer davantage dans le mouvement, il y avait seulement 1 000 femmes », précise Caterina Avanza. Mais la parité a été respectée par l’équipe d’En marche pour la désignation des « référents ». Cela compte. « On a besoin de modèles », confie Bouchra, rassurée de voir dans le XIe Marianna Mendza concilier son rôle de référente, son travail de directrice marketing, sa famille, ses jumeaux de 4 ans… Marianna, 39 ans, qui a conscience de la « misogynie » du monde politique sans en avoir jamais fait partie, s’est elle aussi décidée à postuler (dans l’autre circonscription de l’arrondissement) et bénéficie du soutien de son équipe. Malgré tout, elle a eu droit à cette petite phrase classique d’un adhérent : « Comment tu vas faire avec tes enfants ? »