La jeune femme a les yeux fermés, les cheveux tressés retenus en arrière par une main gantée, pour mieux dégager le front bombé. « On va commencer par redresser le visage », explique Adam Hamidallah, 21 ans, devant son écran d’ordinateur dans une salle de cours de l’Insa, l’Institut national des sciences appliquées de Toulouse. L’étudiant en mathématiques clique sur un bouton. La photo se déplace, le visage de jeune femme penchée vers la gauche se remet droit. « Ensuite, on va effacer l’arrière-plan. » Clic. Le plastique blanc du sac mortuaire taché de sang disparaît. « Maintenant, il nous reste le gant. On a réussi à automatiser une grande partie des tâches avec des scripts. Mais pour d’autres, comme là, pour le gant, on va travailler manuellement. On va se servir d’un bout de la texture des cheveux pour le couvrir », Adam explique, les yeux rivés sur son écran. Clic, clic, clic. Millimètre par millimètre, le gant blanc disparaît, remplacé par la couleur sombre des cheveux.
Cet été, Adam Hamidallah et son camarade d’études Din Triem Phan ont passé deux mois à développer une application un peu particulière. Destinée au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), son but est d’automatiser le traitement des images des corps récupérés en mer, pour qu’elles soient regardables par les familles. « On s’est servi d’Open CV, une librairie d’algorithmes pour le traitement d’images », ajoute Triem en montrant son écran d’ordinateur, rempli de lignes et de lignes de code. « Du Python », précise le jeune homme. Je ne parle pas Python. Mais je vois ce qui se passe sur l’écran d’Adam, le visage de la jeune femme qui reprend vie, les contusions sur une joue qui s’effacent, l’écume sortant d’une narine qui disparaît, les yeux clos remplacés par des yeux ouverts. Ce n’est peut-être pas tout à fait son regard, il lui manque son sourire, il y a quelque chose de figé dans son expression. Mais l’image qui s’affiche a perdu la violence de la photo de départ : celle d’un cadavre allongé sur un sac mortuaire, les cheveux tenus en arrière par la main gantée du médecin légiste.

« Je suis super impressionné par ces jeunes ! », s’exclame au téléphone José Pablo Baraybar, le légiste du CICR que j’avais rencontré au printemps 2018 à Paris (lire l’épisode 13, « L’homme qui veut reconnaître les morts »), après mon voyage au Niger et avant de reprendre la route vers le Sénégal à la recherche de PM390047. Cela faisait alors un an qu’il était chargé de la partie