Agadez, envoyée spéciale
Ousman Gaye, 19 ans, a des dreadlocks rassemblées en palmier sur la tête, des cheveux rasés sur les côtés, et un visage tellement fin qu’il me fait penser à un oiseau. Ça fait trois ans qu’il est sur la route, deux fois qu’il tente la traversée de la Méditerranée depuis Sabratha, en Libye, ville où avait embarqué PM390047, victime anonyme d’un naufrage et dont j’essaie de remonter la trace (lire l’épisode 1, « PM390047, un mort en Méditerranée »). Au départ, Ousman voulait gagner l’Italie. Désormais, il attend de pouvoir monter dans un bus pour rentrer à Banjul, en Gambie, petit pays coincé au milieu du Sénégal. Il s’est installé en face de moi, dans une des salles du centre de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) à Agadez. Il dort ici depuis trois semaines, en attendant de pouvoir refaire ses papiers perdus en route.
Situé à la périphérie d’Agadez, au fond d’un dédale de rues sablonneuses semées de trous, le centre donne l’impression d’être écarté du reste de la ville. Devant le portail bleu gardé par un vigile, de jeunes hommes traînent en petits groupes, portable à la main, d’autres font la queue devant la petite échoppe d’en face. Deux taxis-motos attendent d’éventuels clients. Une pancarte sur une baraque à l’entrée du centre indique « Mécanisme de ressource et de réponse aux migrants », le nom du programme financé par l’Union européenne et la coopération allemande. Il n’y a pas le mot « retour » dans l’intitulé, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. C’est ici qu’atterrissent ceux qui, épuisés par la route ou confrontés à un cul-de-sac, décident de rebrousser chemin. Dans le langage de l’OIM, cela s’appelle « le retour volontaire assisté ». Les chiffres sont en nette augmentation : 1 700 personnes sont rentrées chez elles en 2015, 5 000 en 2016, 7 100 en 2017.
Désormais, à Agadez, c’est ici que les étrangers en transit sont les plus visibles. En ville, ils se font plus discrets, circulent seuls, ou à deux ou trois, là où, il y a moins de deux ans, ils descendaient tous les soirs des bus Rimbo arrivant de Niamey (lire l’épisode 6, « Au Niger, la frontière invisible de l’Europe »), prêts à poursuivre la route vers la Libye. La loi 2015-26 – dont j’entendrai parler dans toutes les conversations que j’aurai à Agadez – et sa mise en application pendant l’été 2016 ont poussé les passeurs et leurs clients dans la clandestinité.