Le 4 septembre 2017, Aurore Bergé remonte en voiture la voie Georges-Pompidou à Paris, direction l’Assemblée nationale. La circulation est dense et la députée La République en marche (LREM) des Yvelines, qui n’avance qu’à 30 km/h, trouve cela « pénible », surtout quand la piste cyclable à sa droite est déserte. Elle décide donc de se filmer et de poster le résultat sur Twitter. « Il y a une forte affluence de cyclistes, ça n’arrête pas. Ça défile, ça défile… », ironise-t-elle sur la vidéo, avant de poursuivre : « Je trouve formidable qu’on puisse promouvoir des déplacements écologiques, mais ça serait bien de penser que Paris se vit aussi avec sa banlieue et sa grande banlieue. Et en l’occurrence, on est un petit peu oubliés systématiquement de ces grandes réformes de madame Hidalgo. »
Une élue macroniste qui se plaint ouvertement de la politique provélo de la mairie de Paris, voilà un épisode qui appartient désormais au passé. Pas parce que, comme souvent dans sa carrière politique, Aurore Bergé s’est ridiculisée
Ce constat, on pouvait le faire, le mercredi 29 janvier, lors du « grand oral vélo » organisé par Paris en selle et Mieux se déplacer à bicyclette (MDB). Ces deux associations de cyclistes avaient réussi à réunir
Autre exemple, les deux associations provélo veulent « apaiser les quartiers résidentiels en réduisant fortement le trafic automobile » dans les petites rues, ce qui passe par une révision du plan de circulation parisien afin d’empêcher les automobilistes qui recourent à « une application de type Waze » de passer par ces « raccourcis ». De nouveau, l’idée fait consensus. De Cédric Villani, qui a trouvé « lumineux » et « parfaitement pensé » ce projet, à Anne Hidalgo, qui assure vouloir reprendre « Mon quartier n’est pas un raccourci »
Signe de l’importance de ce grand oral, la maire de Paris avait, la veille, présenté son propre plan vélo, avec des chiffres impressionnants. Anne Hidalgo veut investir 350 millions d’euros afin de supprimer 60 000 places de stationnement destinées aux voitures pour les remplacer par des pistes cyclables et construire 100 000 nouveaux points d’attache pour les vélos. Difficile de s’aligner, même pour David Belliard, le candidat EELV aux « 18 propositions pour un Paris libéré de la voiture », contraint, lors du grand oral, de se déclarer « très heureux que des candidats ou des candidates reprennent un certain nombre de [ses] propositions ». Les chiffres de la maire donnent en tout cas le ton : les 100 000 nouvelles places pour la bicyclette sont aussi proposées par Benjamin Griveaux et Cédric Villani a choisi de faire dans la surenchère, promettant de consacrer 400 millions d’euros au vélo, en incluant les investissements en petite couronne (on n’a cependant pas bien compris qui devrait payer : Paris ou les communes limitrophes ?). Seule Rachida Dati ne s’engage à rien, renvoyant toute décision à un futur « plan de mobilité » adopté après l’élection. Ce qui est déjà un gros changement par rapport à tout ce que la droite a pu, dans le passé, dire du vélo.
Devant cette avalanche d’annonces provélo, le cœur de l’électeur-cycliste (et de l’auteur de ces lignes) est tout tourneboulé. Comment choisir ? Le dilemme est de l’ordre de celui qui tourmente le Parisien quand il relie à vélo gare de l’Est à Bastille : faut-il passer par le canal Saint-Martin, opter pour la place de la République ou prendre le boulevard de Sébastopol puis la rue de Rivoli ? Il y a des pistes cyclables partout : tous les chemins sont bien ! Ah, c’était plus simple il y a dix ans, quand seuls quelques couloirs de vélo connus des initiés s’offraient aux vélos…
Mais avant d’inciter tous les cyclistes parisiens à se jeter sur un bulletin de vote Benjamin Griveaux, peut-être faut-il s’assurer que ce dernier est bien sincère (pour les autres aussi, mais, allez comprendre, c’est lui qui nous vient à l’esprit quand on pense à un candidat pas franc du collier). Des déclarations enflammées envers la bicyclette qui se transforment ensuite en coups pendables, ce n’est pas une nouveauté à Paris. En 2015, Olivier Razemon, journaliste spécialiste des transports, s’était amusé à recenser « la longue histoire des plans vélo à Paris ». Il y avait ainsi les fameux « couloirs de courtoisie » inventés en 1982 par Jacques Chirac, des pistes tracées au sol à gauche des couloirs de bus et qui avaient été surnommés les « couloirs de la mort » par les cyclistes. Olivier Razemon avait aussi exhumé un discours de Jean Tiberi datant de 1996 où il était question de « partager l’espace public » en donnant « plus de place au vélo » et qui s’était traduit par quelques couloirs symboliques.
Mais il n’y a pas que la droite à ne pas être digne de confiance. C’est à Bertrand Delanoë et à son adjoint au transport Vert Denis Baupin que l’on doit l’aménagement en 2006 du boulevard Magenta, dans les IXe et Xe arrondissements : une piste cyclable en pente, placée au milieu du trottoir, qui se révèle depuis un gymkhana pour les vélos et un passage de la mort pour les piétons voulant traverser (et aussi le meilleur argument pour ceux qui pestent contre l’incivilité des cyclistes). Quant à Anne Hidalgo, elle a mis du temps à assumer son rôle de « maire qui emmerde les automobilistes ». Jusqu’à début 2018, son plan vélo, adopté trois ans plus tôt, était resté à l’état de projet. Il a fallu que Paris en selle lui rappelle ses promesses pour qu’elle se bouge et fasse pression sur son administration. Le directeur de la voirie qui faisait de la résistance a alors été remplacé par une femme plus jeune et plus ouverte, Caroline Grandjean, dont le premier geste a été de recevoir les associations provélo.
Comment, alors, distinguer la bonne promesse de la future déception ? Peut-être en écoutant comment les candidats parlent de la bicyclette. Parce que, comme le dit Cédric Villani, « le vélo, c’est une expérience et des souvenirs très personnels », un vécu qui peut influer au moment où il faut trancher pour bouter les voitures hors de Paris. Pour le marcheur dissident, l’objet a marqué plusieurs âges de sa vie : il y a eu le moment où, « en marge d’un terrain de tennis dans l’Indre au cours de vacances familiales », il est devenu un « grand garçon » en enlevant « les petites roulettes ». Puis, l’objet a accompagné une « forme de lune de miel » lors d’un « trajet Paris-Montélimar à deux », des « randonnées en famille, parfois avec une carriole » mais c’est seulement « sur le tard », soit pendant la campagne électorale, qu’il a voulu voir si le vélo était un moyen de transport adapté à la ville. Résultat, il a pris un abonnement Vélib et il trouve que, « quand ça marche, c’est très pratique », surtout « pendant les grèves ».
Je fais partie des 60 % de Parisiens intéressés mais qui ont encore la trouille, qui ne se sentent pas en sécurité.
Pour le candidat EELV David Belliard, qui « parle en adepte », le vélo à Paris, ce sont d’abord des souvenirs du « début des années 2000 » quand, tout juste arrivé à Paris, il faisait du VTT avec son compagnon d’alors et qu’ensemble ils mettaient « des coups de pied contre les voitures qui stationnaient sur les rares pistes cyclables, comme celle de la Villette ». La candidate de La France insoumise Danielle Simonnet, elle, a passé les « seize premières années » de sa vie dans le sud de la Seine-et-Marne et le vélo, « c’était la condition sine qua non de [s]a liberté » puisqu’« il n’y avait pas toujours des bus » et que tout était à des kilomètres. Mais une fois arrivée à Paris pour ses études, elle a arrêté : « Je fais partie des 60 % de Parisiens intéressés mais qui ont encore la trouille, qui ne se sentent pas en sécurité », déplore-t-elle, ajoutant que le premier moyen de transport à « prioriser », c’est la marche à pied.
Avec Benjamin Griveaux, en revanche, pas de tranche de vie. On ne sait pas s’il a fait du vélo dans sa Saône-et-Loire natale ou une fois à Paris. Lors du grand oral, le député de Paris enchaîne les propos techniques ou les punchlines anti-Hidalgo. Puis il se lance dans un développement sur les vols de vélos, dont le nombre officiel est sous-évalué puisque « tout le monde ne (les) déclare pas ». Et glisse alors : « Ça m’est déjà arrivé et je ne suis pas allé porter plainte. » Mais on n’en saura pas plus sur cette bicyclette volée. Appartenait-elle au candidat LREM, à sa femme ou à l’un de ses enfants ? Une chose est sûre : on n’a trouvé aucune photo de Benjamin Griveaux à vélo. Il en existe en revanche de très nombreuses d’Anne Hidalgo enfourchant une bécane. La maire de Paris convoque régulièrement les journalistes pour donner l’exemple, même, si comme une enquête du site d’information automobile Caradisiac l’a montré, sur ses déplacements officiels, elle utilise exclusivement la voiture (électrique). Lors du grand oral, la candidate socialiste ne joue d’ailleurs pas la carte du témoignage personnel. Elle se contente de promettre « une saison 2 qu’on va adorer », après « la saison 1 » au cours de laquelle elle a mené « un combat qui n’a pas toujours été facile ». Et cela suffit pour convaincre la salle. À l’applaudimètre, elle l’emporte aisément sur ses adversaires.
Même si son bilan n’est pas totalement satisfaisant et son déclic a été tardif, Anne Hidalgo a fait des choix courageux pendant sa mandature.
Commentaire de Charles Maguin, le président de Paris en selle : « Même si son bilan n’est pas totalement satisfaisant et son déclic a été tardif, Anne Hidalgo a fait des choix courageux pendant sa mandature, confie-t-il aux Jours. Et avec son programme, elle a marqué des points. » Mais le militant provélo ne veut pas se mouiller et donner une consigne de vote. « On va passer au crible toutes les annonces des candidats pour donner à nos adhérents des clés pour le scrutin », poursuit-il. Ensuite, peu importe qui gagnera l’élection. « Je vous garantis qu’on embêtera le futur maire et qu’on lui rappellera ses paroles de ce soir », promet Charles Maguin. Parce que, l’expérience des six dernières années l’a montré : pour atteindre le paradis du vélo, il ne suffit pas d’espérer, il faut surtout batailler.