Nina Simone s’ennuie vite. Souvent, elle prend donc son vélo pour traverser un bout de Nimègue, aux Pays-Bas, et se rend chez un grossiste en vin dirigé par Gerrit de Bruin, un fan de longue date qui l’a convaincue de s’installer près de lui pour retrouver une vie plus stable qui lui échappe depuis qu’elle a quitté les États-Unis dix ans plus tôt. C’est même un euphémisme : seule, Nina Simone est incapable de gérer sa vie quotidienne et multiplie les crises d’hystérie violente, brûle en direct devant son public lors de concerts erratiques qui ont fini par être la seule trace de son existence médiatique au début des années 1980, quand elle vivait encore à Paris. Gerrit de Bruin l’avait alors perdue de vue comme beaucoup, avant de la retrouver en train de glisser vers un oubli inacceptable pour une artiste qui compte parmi les plus intenses du XXe siècle, traversant les générations avec sa musique unique faite de réminiscences classiques, de jazz, de gospel et de soul qu’elle mettait au service des causes politiques de son temps. « À Paris, elle n’allait pas bien parce qu’il n’y avait personne pour être auprès d’elle chaque jour », m’a raconté Gerrit de Bruin quand je suis allé le voir chez lui aux Pays-Bas, où il passe sa retraite avec des souvenirs de Nina Simone plein la tête. « Je lui ai dit : “Nina, tu ne peux pas vivre comme ça.” Ça a pris un peu de temps, mais un jour elle m’a téléphoné, elle avait besoin d’aide. “OK Nina, viens en Hollande pour être près de moi. Mais il faudra nous écouter.” J’ai demandé à Raymond Gonzalez et Al Schackman de constituer une équipe autour d’elle, parce que je ne pouvais pas faire ça tout seul, il fallait être au moins trois. On a été très clairs : “Si tu prends tes médicaments et que tu honores tes concerts, ça se passera bien. Sinon, trouve quelqu’un d’autre.” Elle m’a répondu que c’était sa dernière chance, elle en avait complètement conscience. »