De Marseille
La saison commence à peine, avec la venue de Toulouse ce vendredi soir au Vélodrome, et voilà que René Malleville, supporter historique de l’OM, est déjà tout énervé. Proche même de péter une durite d’entrée. Méfi René ! Faut en garder sous le coude. Ce qui le rend chiffon, c’est que selon lui, la direction du club est « en train de chier dans la colle » niveau mercato. En autoproclamé « porte-parole de la majorité silencieuse », le supporter grande gueule la prévient : « Vous étonnez pas s’il y a des manifestations de mécontentement dans le stade vendredi ! » René Malleville en a contre les agents de joueurs « qui font la loi à l’OM » et ce satané Mario Balotelli, l’attaquant italien annoncé au club depuis deux mois mais sans qu’on voit débouler sa crête. « Balotelli, il a qu’à se prendre les couilles entre les mains ! », suggère le bon René, qui a toujours dans le slip une solution prête à l’emploi.
Si Malleville s’énerve, c’est que l’OM joue un remake du feuilleton du « grantatakan », déjà succès de l’été 2017 : les dirigeants avaient promis monts et merveilles pour mener l’attaque, avant de se rabattre à la dernière minute sur un deuxième choix nommé Konstantinos Mitroglou, dans un modèle de ce que les Angliches appellent le panic-buy. Cette fois, ils ont cru mieux faire, en s’attaquant dès juin au dossier Mario Balotelli. Mais deux mois plus tard, on y est toujours, et ça sent le roussi. Le club n’a engagé qu’une recrue, le défenseur croate Duje Caleta-Car, international cher payé (19 millions d’euros) mais jeune (21 ans) et donc susceptible d’être bien revendu.
À leur décharge, les boss marseillais subissent cette règle stupide voulant qu’on reprend le championnat de Ligue 1 le 10 août alors que le mercato se poursuit jusqu’au 31 août. Comme si vous débutiez au théâtre avec une pièce en sachant que certains acteurs stars ne monteront sur les planches que dans trois semaines. Vous imaginez la tronche du public ? Ben regardez celle à René, ça vous donnera une idée. Difficulté supplémentaire, le calendrier diffère selon les pays. En Angleterre, le mercato s’est achevé jeudi 9 août, alors qu’en Italie, il finit le 17 août. Les meilleurs joueurs ne se tourneront vers la Ligue 1 que lorsque ces deux marchés majeurs seront fermés.
De tout cela, les supporters n’en ont cure. Ils veulent du spectacle et du résultat et s’inquiètent : le club n’a gagné qu’un match sur les sept de préparation, il aborde la première journée sans défense crédible et privé de titulaires. Or, il ne s’agit pas de rater l’entame. Car les attentes s’élèvent. L’OM a fini cinquième il y a deux saisons, quatrième la saison dernière… Pour 2018-2019, le podium et le retour en Ligue des champions constituent l’objectif sportif et financier. La paire formée par le propriétaire américain Frank McCourt et le président Jacques-Henri Eyraud, qui attaque sa troisième saison à la barre, joue gros (lire l’épisode 1 de la saison 1) : la saison dernière, l’OM a fait rêver en atteignant la finale de la Ligue Europa, mais est reparti bredouille (lire l’épisode 16 de la saison 1). Là, il faut concrétiser, sinon ça va gronder.
Il n’y a pourtant pas panique à bord. À l’intersaison, le club a retenu ses meilleurs éléments, à part Franck Anguissa vendu jeudi soir à Fulham pour 30 millions d’euros. Une relative stabilité qui devrait rassurer les supporters, mais nombre d’entre eux tiennent le chamboule-tout pour une vertu cardinale. À Marseille, il faut que ça bouillonne, sinon on s’embête. On adore renverser la table à chaque repas, et tant pis si on casse la vaisselle.
Autre point positif : les abonnements au Vélodrome ont augmenté de 15 %, atteignant la barre des 38 000, soit plus du double d’il y a deux ans. Et l’OM devrait prochainement récupérer l’exploitation du stade, puisqu’un accord avec le gestionnaire actuel est en cours de finalisation, comme cela a été annoncé en juillet (lire l’épisode 2). De plus, à partir de 2020, les droits télé du foot français, raflés par l’Espagnol Mediapro, augmenteront de 60 %. Les clubs vont recevoir une enveloppe plus conséquente, soit plus de moyens pour recruter.
C’est pile-poil le genre de nouvelles qui enchante Mino Raiola, ci-devant agent de joueurs. Ce Néerlandais d’origine italienne ne paye pas de mine. Un tantinet ventripotent et élégamment vêtu d’un jogging, il a commencé comme serveur de bar. Mais aujourd’hui, il est roi sur la planète foot. Et c’est l’agent de Balotelli. Super Mario et Mister Mino, voilà une histoire d’amour et de gros sous, mais Raiola a assis sa réputation avec une autre star, Paul Pogba. À l’été 2016, Mino Raiola a orchestré le transfert du milieu français de la Juventus de Turin à Manchester United. Montant total : 127 millions d’euros, record mondial à l’époque. Au passage, Mino Raiola, le Mozart du business, devait toucher 49 millions d’euros de primes, selon les enquêtes « Football Leaks » révélées en décembre 2016 par Mediapart. Un autre record qui fait baver les agents de la planète.
Mino Raiola était chargé par la Juve de créer la « hype » autour du joueur et « une guerre des enchères pour le valoriser au maximum ». Belle réussite même si, au passage, le Néerlandais a un peu trompé son monde. Selon les « Football Leaks », il était à la fois l’agent du joueur, celui de la Juve (qui lui a versé pour cela 27 millions) et celui de Manchester. Une triple casquette avec laquelle il paraît difficile de jongler : d’un côté, son travail consistait à faire monter la valeur du joueur (pour l’intérêt de la Juve), de l’autre, à la faire baisser (pour Manchester), tout en assurant les meilleures conditions salariales pour Pogba.
Mino Raiola avait, par contrat avec le club italien, indexé ses émoluments sur les millions supplémentaires grattés au club acheteur. Cette tactique s’apparente à la « tierce propriété », pratique a priori interdite. La Fifa a bien jeté un œil, mais sa commission d’enquête n’a suggéré qu’une amende risible de 60 000 euros contre la Juve, qui n’a pas été prononcée, selon le président du club italien, Andrea Agnelli. Et la Fifa n’a pas cherché de noises à Mino Raiola, sous prétexte qu’elle n’en a pas la compétence – c’est aux fédérations nationales de surveiller les agents. Forcément, le Néerlandais en est sorti grandi. C’est qui le King ? On peut braquer la banque et être raccompagné par le dirlo à la sortie, avec force courbettes. Mino Raiola a comparé Paul Pogba à Salvador Dali, mais l’artiste qui fait plier les clubs, c’est lui. Il prend leur pèze et ils repartent contents car sans lui, ils n’auraient pas eu le joueur convoité. Ça vaut bien une petite com. Pardon Mino, une énorme com. Parce que Raiola, il n’y va que pour la grosse commission.
Et voilà le dilemme pour l’OM. Jacques-Henri Eyraud s’est targué de ne pas traiter avec certains agents jugés trop sulfureux, mais s’il veut Super Mario, il doit passer par Mister Mino. Pas le choix, surtout que le transfert s’avère alléchant. L’avant-centre âgé de 27 ans appartient jusqu’en 2019 à l’OGC Nice mais peut quitter le club contre 10 millions d’euros, une somme minime compte tenu de sa valeur potentielle. Après des années à gâcher son immense talent, ce surdoué du foot s’est relancé avec l’équipe niçoise qui l’a récupéré en 2016. La saison passée, il a marqué 26 buts en 38 matchs, une statistique impressionnante. Le site allemand Transfermarkt le valorise à 24 millions d’euros.
Compte tenu du faible montant du transfert, on peut faire confiance à Mino Raiola pour négocier le plus gros salaire à l’OM, une jolie prime à la signature et une bonne com pour lui. Mais ça coince depuis deux mois. La signature a été maintes fois annoncée, sans suite, au point que certains n’y croient plus. Pourtant, l’OM a invité le joueur à la Commanderie, le centre d’entraînement, histoire de le sonder. Une erreur, sachant qu’il est toujours sous contrat avec Nice, dont les dirigeants n’ont guère goûté cette approche directe, contraire aux règles du foot. Ils ne font rien depuis pour accélérer le dossier.
L’affaire se complique quand on sait à quelle vitesse Mario Balotelli peut passer de charmant garçon à sale gosse. À Liverpool, où il a joué entre 2014 et 2016, le club lui promettait chaque fin de saison une prime de bon comportement d’un million de livres. Il la recevait s’il n’avait pas été expulsé plus de trois fois « pour des comportements violents, pour avoir craché sur un joueur ou sur toute autre personne, ou en utilisant un langage ou des gestes offensants et abusifs ».
Évidemment, ce bad boy fantasque et arrogant plaît à Marseille. Même si avec lui, il n’y a aucune garantie. Mario Balotelli est capable d’illuminer un match de trois actions géniales puis d’en disparaître pendant 80 minutes. L’engager, c’est comme prendre Gérard Depardieu en star d’un film, sans savoir s’il se réveillera chaque matin pour tourner les scènes prévues. Alors René, te voilà prévenu : si Super Mario signe, tu auras de nouvelles occasions de t’énerver.