Ce mardi 5 octobre, dans un auditorium du centre de Paris, l’immense silhouette de Jean-Marc Sauvé s’est avancée vers les religieux qui l’ont chargé de présider la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase). Le haut fonctionnaire a hésité un instant. Fallait-il vraiment déposer son rapport, fruit de plus de deux ans de travail (lire l’épisode 4, « Pédocriminalité : l’Église à confesse »), dans les mains de ses commanditaires, les présidents de la Conférence des évêques de France et de la Conférence des religieux et religieuses de France montés sur scène, telle une remise du prix de la honte ? C’est pourtant de cela qu’il s’agissait. Le texte, en plusieurs opus reliés, fait une vingtaine de centimètres d’épaisseur. Il est si encombrant que ses récipiendaires, contraints de le porter à deux mains, se sont empressés de le reposer sur la table basse faute de savoir qu’en faire. Ce n’est rien de moins que le bréviaire de plus d’un demi-siècle de crimes contre des enfants. La description d’un phénomène « massif », fruit d’un « ensemble de négligences, de défaillances, de silences, d’une couverture institutionnelle, qui ont représenté un caractère systémique ».
La honte de l’Église catholique française tient en quelques chiffres qui pulvérisent les estimations évoquées ces derniers mois, y compris par la Ciase elle-même. En mars 2021, la Ciase annonçait au moins 10 000 victimes. Parmi les Français de plus de 18 ans, le rapport conclut désormais que 216 000 personnes auraient été agressées sexuellement par des clercs durant leur minorité. Leur nombre s’élève à 330 000 si l’on ajoute les victimes de « laïcs en mission d’Église », acteurs de l’enseignement catholique, bénévoles chargés de catéchisme, responsables de mouvement de fidèles, à l’instar des Focolari. C’est au sein de cette association que Christophe Renaudin a été agressé sexuellement dans l’enfance par Jean-Michel M., un laïc consacré (lire l’épisode 1, « Pédocriminalité dans un mouvement catholique : nos révélations »). Les Focolari, qui ont longtemps couvert ces actes, estiment aujourd’hui à une trentaine le nombre de ses victimes. D’après la Ciase, plus de 34 % des abus dans l’Église catholique sont le fait de laïcs.

Les estimations s’appuient sur une étude de l’Inserm auprès de la population générale. Tous contextes confondus, 5,5 millions de personnes en France déclarent avoir subi des violences sexuelles avant leurs 18 ans.