Je la vois, ta tête de Jouriste affligé. Saperlotte, un article sur le verrou de Bercy, ça s’annonce aussi palpitant qu’une lecture de Le Clézio par Pierre Moscovici. Eh bien non. Fais preuve de cran et de dignité. Le verrou de Bercy, c’est très simple. Le ministère des Finances est le seul à pouvoir déclencher des poursuites judiciaires pour fraude fiscale. C’est aussi très important. Et très d’actualité. Souviens-toi l’été dernier, quand des parlementaires de toutes obédiences ont voulu le faire sauter au détour du débat sur la loi « moralisation » de la vie politique. Le gouvernement les a suppliés de lâcher l’affaire, tout en promettant d’y revenir plus tard. Or, figure-toi que plus tard, c’est maintenant. À l’Assemblée nationale, une mission d’information a commencé ses auditions cette semaine. Les députés veulent entendre les acteurs-clés de la lutte contre la fraude fiscale pour se faire une idée : faut-il que le verrou disparaisse, qu’on le desserre, ou qu’on le laisse intact pour satisfaire le gouvernement ? Les conclusions de la rapporteuse, la députée La République en marche Émilie Cariou (et ancienne de Bercy), devraient être rendues d’ici au mois d’avril.
Voici le pitch. En France, la fraude fiscale fait l’objet d’un traitement judiciaire à part. Pour les autres délits, ce sont les procureurs qui décident d’ouvrir des enquêtes et de poursuivre les auteurs s’ils l’estiment nécessaire. Ce principe d’« opportunité des poursuites » s’applique au vol, à la conduite en état d’ivresse, au trafic de stupéfiants, à l’exhibition sexuelle… Mais pour la fraude fiscale, une plainte préalable de l’administration fiscale est nécessaire. Le cheminement qui y conduit ressemble à un entonnoir. Chaque année, les services des impôts mènent environ un million de contrôles fiscaux. Ils infligent des redressements et des pénalités à des milliers de contribuables. Et, dans certains cas, ils estiment que cette sanction doit se doubler d’une plainte au pénal. Le fisc sélectionne lui-même les dossiers susceptibles d’intéresser la justice, sans avoir à justifier de ses choix. Il transmet d’abord les dossiers à la commission des infractions fiscales (CIF) – surnommée, donc, « le verrou de Bercy » – chargée de valider les dépôts de plainte du ministère (ce qu’elle fait dans 95 % des cas).