Cela fait un moment que les affaires de pollution et de vieux déchets m’obsèdent. Pour Les Jours, j’ai commencé à enquêter sur le sujet en Normandie, en fouillant notamment un véritable vide-ordures installé sur une plage près du Havre (lire l’obsession Trash investigation). Des gens du coin m’avaient alors parlé d’une entreprise ayant selon eux un lourd passif en matière de pollution de l’environnement normand : Guy Dauphin Environnement (GDE). À l’époque, j’avais laissé couler, préférant dévoiler les saletés d’entreprises mieux connues : Total, ExxonMobil, ou encore Coca-Cola. À tort.
Pour J’ai pollué près de chez vous, je me suis rendu ces derniers mois près de Saint-Nazaire et dans plusieurs communes victimes de graves pollutions en Isère (lire l’épisode 2, « En Isère, l’irrespirable projet Inspira »). À chaque fois, le nom et les nuisances locales de GDE sont revenus dans les témoignages de riverains. Serait-ce une répétition d’événements simultanés liés au hasard (on a regardé la définition de « coïncidence » dans le dictionnaire) ?
Répondre à cette question, c’est plonger dans plusieurs décennies de délinquance environnementale. D’abord, une petite biographie. L’entreprise porte le nom du ferrailleur Guy Dauphin, qui a créé en 1965 à Rocquancourt, dans le Calvados, une petite entreprise de recyclage. Âgé d’à peine 16 ans, son fils Claude quitte l’école en 1967 pour y travailler. Dix ans plus tard, ce dernier est embauché en Amérique du Sud au côté du magnat du négoce et futur milliardaire Marc Rich. Surnommé « El Matador », ce trader de matières premières est connu pour avoir négocié du pétrole avec l’Iran, l’Afrique du Sud ou la Libye malgré les embargos internationaux. Il a aussi été condamné pour extorsion de fonds, délit d’initié et pour l’une des plus grandes fraudes fiscales de l’histoire des États-Unis. Claude Dauphin fut l’un des grands dirigeants du groupe Rich : il y prend notamment la tête du département pétrole à la fin des années 1970.
En 1992, Marc Rich se terre en Suisse pour échapper à la justice et sa carrière incroyable se rapproche de la fin. Il voit alors plusieurs de ses proches collaborateurs, dont Claude Dauphin, démissionner et partir développer à Genève une autre boîte de négoce. Qui deviendra un géant international : Trafigura. L’entreprise se rend surtout célèbre à l’été 2006, à la suite d’événements terribles. Le 19 août, un bateau affrété par la société Trafigura