Geste désespéré avant un abandon au profit de Yannick Jadot ? Idée géniale qui va lui permettre, sinon de gagner la présidentielle, du moins de permettre à la gauche d’atteindre le second tour ? Depuis qu’Anne Hidalgo a proposé au 20 heures de TF1, le 8 décembre, une primaire avec les autres candidats de gauche, on ne sait plus comment analyser les dires de la maire de Paris. La même qui, le matin même de son interview avec Gilles Bouleau, expliquait qu’« une union serait perçue comme artificielle » et « ne fonctionnerait pas », a lancé lors d’un meeting à Perpignan ce dimanche qu’elle portait désormais « ce rêve d’union » et que, « sans union », il n’y avait « pas de destin pour la gauche ». Et ce, alors que Yannick Jadot (Europe Écologie - Les Verts, EELV), Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et Fabien Roussel (Parti communiste) ont fermement rejeté sa proposition. Cela veut-il dire que la candidate socialiste est d’accord pour organiser une primaire à deux avec Arnaud Montebourg, le seul prêt à mettre sa « candidature au pot commun » ?
Ce retournement total de stratégie
Il y a d’abord un flop de librairie. Le 15 septembre, pour faire « Présidente », Anne Hidalgo a publié Une femme française (Les Éditions de l’Observatoire, 2021), ouvrage mi-biographique mi-programmatique. Or, un mois plus tard, elle n’avait réussi à en écouler que 1 800 exemplaires. Un chiffre ridiculement bas, si on le compare aux scores d’Éric Zemmour, dont le La France n’a pas dit son dernier mot (Rubempré, 2021) est sorti le même jour et se vend 100 fois plus. Il y a ensuite le nombre de personnes qui ont assisté à son discours d’investiture, à Lille, le 23 octobre dernier. Un peu plus de 1 000 spectateurs, dont une bonne partie venus de toute la France dans des cars affrétés par le PS ; Benoît Hamon avait réussi à en réunir deux fois plus (2 000 personnes étaient présentes le 5 février 2017 à la Mutualité, à Paris). Et l’affluence n’est pas non plus au rendez-vous en ligne : le meeting de Lille affiche 15 000 vues sur YouTube (quand celui de Jean-Luc Mélenchon, à Reims, six jours plus tôt, en totalise 206 000). Le résultat est tout aussi médiocre pour le meeting de Perpignan : 12 500 vues seulement ce mardi.
En fait, la seule intervention de la candidate socialiste qui a cartonné sur les réseaux sociaux est celle qui a suscité le plus de moqueries. On parle de la vidéo dans laquelle, devant un automate de la gare SNCF de Saint-Vallier, dans la Drôme, elle se plaint que « quand les machines remplacent les humains, ça va pas quoi ! » Deux millions de personnes ont visionné cette déclaration et les commentaires sont assassins (on vous conseille la parodie du comédien Pierre-Antoine Damecour). La plupart font remarquer que l’automatisation n’est pas un phénomène nouveau et que la ville de Paris (avec ses Vélib ou ses horodateurs pour le stationnement) y contribue aussi. C’est d’ailleurs, malheureusement pour Anne Hidalgo, une constante : sur les réseaux sociaux, les commentaires négatifs dominent toujours. Comme si la candidate ne disposait pas d’équipe numérique pour faire la claque.
Pas besoin d’en rajouter : il n’y a pas actuellement de désir profond du pays pour la candidature d’Anne Hidalgo. Peut-être que l’opinion en veut à celle qui avait promis que seule la mairie de Paris l’intéressait ? En juillet 2020, elle déclarait imprudemment qu’elle ne serait « surtout pas » candidate à la présidentielle et qu’on pouvait « archiver » sa déclaration. Ce ne serait cependant pas la première fois qu’un candidat se dédit… À moins que ce ne soit sa personnalité ? Ou son parcours ? C’est d’ailleurs ce que tente de faire croire l’intéressée : « Je représente ce que beaucoup de nos adversaires aimeraient faire taire. Une femme, de gauche, d’origine étrangère, profondément européenne », lançait-elle à son meeting de Lille. Mais l’explication ne tient pas si on s’intéresse aux réticences à l’intérieur même de son camp.
Ce qui explique plus sûrement ses difficultés, c’est que la maire de Paris n’a pas trouvé les arguments pour expliquer pourquoi sa candidature était nécessaire. « Le vrai péril, c’est que la gauche ne fasse pas entendre ses idées, ses valeurs, lors de cette élection présidentielle », assure l’un de ses porte-parole, le maire de Montpellier Michaël Delafosse. Mais les socialistes n’attendent pas seulement ça d’Anne Hidalgo. Depuis que François Mitterrand en est devenu premier secrétaire en 1971, le PS est là pour tenter de gagner les élections. Il n’a pas vocation à présenter une candidature de témoignage. C’est pourquoi, après la déconvenue de Benoît Hamon en 2017 (6,35 % au premier tour), le parti a sérieusement envisagé ne pas présenter de candidat en 2022. Il a développé une autre stratégie : l’union à gauche, sans avoir forcément la primauté. Aux européennes de 2019, Raphaël Glucksmann, du microparti Place publique, a ainsi été désigné pour mener la liste commune. Lors des municipales de 2020, de nombreuses listes ont été conduites par Europe Écologie - Les Verts. Enfin, en août 2020, à l’université du PS, Olivier Faure se disait prêt à se ranger derrière « celle ou celui qui est le mieux placé » à gauche pour la présidentielle et fustigeait ses camarades qui avaient des « stratégies individuelles ».
On l’a vu aux régionales et on le constate dans les grandes démocraties : pour rassembler, il faut que la gauche soit conduite par un social-démocrate.
En proposant aujourd’hui une primaire, Anne Hidalgo se place dans cette ligne. Mais que disait-elle il y a encore quelques semaines, le 22 novembre dernier ? Que l’alliance avec les écolos ne pouvait passer que par elle, car, comme « on l’a vu aux régionales et on le constate pour les grandes démocraties : pour rassembler, il faut que la gauche soit conduite par un social-démocrate ». Sinon, « les électeurs de gauche » qui « ont choisi Macron en 2017 » vont revoter pour lui. Des arguments de mauvaise foi. D’abord parce qu’ils faisaient l’impasse sur les succès aux municipales des listes écolos menées à Bordeaux, Lyon et Marseille. Ensuite parce qu’ils tiraient des leçons d’une élection (les régionales) qui a connu une abstention record et donné une prime aux présidents sortants. Enfin parce que la comparaison avec les pays voisins (l’Espagne ou l’Allemagne, qui reviennent souvent dans la bouche d’Hidalgo) n’a pas de sens puisque les partis de centre-gauche ne s’y sont pas effondrés comme le PS en 2017.
Plus gênant encore : si on retrace le parcours de la socialiste depuis un an, on ne trouve de sa part aucune tentative sérieuse de discuter avec les écolos pour mener une candidature commune. Anne Hidalgo a même fait le contraire. Alors que la maire de Paris a été élue deux fois grâce à des accords électoraux avec EELV, elle a commencé à laisser entendre que l’élection présidentielle l’intéressait en insistant sur ce qui la différenciait de ses alliés. Ainsi, en novembre 2020, elle disait qu’elle « prendrait toute [sa] part dans la bataille qui s’annonce », quelques jours après avoir provoqué un clash avec le groupe écolo au conseil de Paris (à propos d’un hommage à Samuel Paty, le professeur assassiné le 16 octobre 2020). Puis, en janvier 2021, elle a lancé la plateforme Idées en commun (décalque de Paris en commun, qui avait permis sa réélection à la mairie), mais n’y a inclus que des proches et des membres du Parti socialiste. Elle a ensuite effectué un minitour de France afin, disait-elle sur France 2, d’« aller sur le terrain rencontrer les Français et les Françaises » et « construire une offre politique nouvelle ». Sauf que ces déplacements n’ont eu lieu que dans des terres d’élus PS. Et ce sont ces derniers qui ont signé en juin un texte collectif titré « Pour nous, c’est Anne Hidalgo ». Et eux encore qui se retrouvent dans son équipe de campagne : la maire de Nantes Johanna Rolland, le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol, la présidente de la région Occitanie Carole Delga…
Grâce à cette précampagne, Anne Hidalgo est devenue incontournable au sein du PS et elle a pu obtenir facilement l’investiture. Mais le pendant, c’est qu’elle est maintenant tout sauf une candidate libre présentant un projet neuf. Elle ne peut pas refaire le coup d’Emmanuel Macron en 2017. À ses côtés lors du meeting de Lille, on pouvait ainsi voir Martine Aubry (qui était déjà ministre socialiste en 1991) et Bernard Cazeneuve, éphémère Premier ministre de décembre 2016 à mai 2017. Et pour en rajouter dans la nostalgie contre-productive, elle s’est longuement affichée avec François Hollande lors d’un déplacement en Corrèze le 6 novembre dernier. Comme si l’électorat de gauche avait oublié la responsabilité de l’ancien président de la République dans la déconfiture du PS en 2017… Et comme si Anne Hidalgo ne se souvenait plus qu’elle-même parlait il y a cinq ans du quinquennat Hollande comme d’un « immense gâchis ».
On pourrait ainsi multiplier les exemples de contradictions et de questions non résolues qui viennent plomber la campagne de la candidate. Prenons son bilan parisien. Réélue en 2020, la maire a été très surprise du succès du mouvement #SaccageParis. Sous ce hashtag
Ce type d’échange tendu avec les journalistes est d’ailleurs devenu coutumier. Quand elle ne sait pas quoi répondre, Anne Hidalgo les prend pour cible. Ainsi, au cours de la même interview sur Public Sénat, elle lâche : « C’est une question de priorité, chère Madame ! » Visée, Marie Brette qui venait de lui faire remarquer que certaines de ses mesures (comme le doublement des salaires des profs) ne sont pas financées. Même traitement sur LCI pour Élizabeth Martichoux, qui a eu le malheur de dire que même misogyne, Éric Zemmour était entendu par l’opinion. Elle a eu le droit à un ironique : « Vous êtes là à cause de la parité ou parce que vous avez un cerveau ? » Et comment ne pas avoir de la compassion pour ce pauvre Benjamin Sportouch, de RTL, qui, après avoir demandé à la candidate socialiste si elle était « pour la semaine de 32 heures », s’est pris en retour un cinglant « Vos questions sont quand même assez débiles ! » Tous ces épisodes dessinent l’image d’une candidate pas vraiment sereine et qui refuse la contradiction. Or ce n’est pas en niant les problèmes qu’ils disparaissent. Il y a toujours des gens pour vous les rappeler. Ainsi, qu’a-t-on ainsi vu apparaître en tendance sur Twitter lors du meeting de Lille ? Un nouveau hashtag intitulé #SaccagelaFrance… Autant vous dire qu’il n’était pas très favorable à Anne Hidalgo.