Un silence. Une seconde pour digérer le témoignage poignant qu’il vient d’entendre, et rallumer son micro. Le président de la cour d’assises, Jean-Louis Périès, se racle la gorge, demande : « Et depuis, comment ça va ? Vous avez eu un suivi psychologique ? » À chaque témoignage, les rescapés, les proches des victimes racontent leur 13 Novembre, les jours, les mois, les années de réparation qui ont suivi (lire l’épisode 10, « “Je dois vivre pour tous les gens qui sont morts” »). Depuis un mois maintenant que les 300 parties civiles se succèdent à la barre dans un défilé ininterrompu de douleur
Cette nuit-là, les survivants ont regardé la mort dans les yeux. « Je vois le visage de monsieur Manuel Dias [le seul mort du Stade de France, ndlr] qui me regarde, les yeux ouverts. J’ai un moment d’observation pour comprendre que les débris humains autour sont trop nombreux pour appartenir à un seul corps. » Jonathan, capitaine de gendarmerie dans la Garde républicaine, assurait la sécurité du stade. Il a, collées à sa rétine, ces images de chaos après l’explosion de la porte D. Parfois, le cerveau invente une histoire pour vivre l’instant dans le déni. Bley, qui s’apprêtait à voir le match France-Allemagne avec son fils, a vu de la chair dans les cheveux d’une femme après la première explosion : « Pour moi, c’était de la côte de bœuf parce qu’il y avait le stand de grillades à côté. » Face à la mare de sang qui s’écoule rapidement sur le sol du Bataclan, Mélissa, elle, voit « la pièce se remplir de jus de raisin ». « J’avais le cerveau plié en deux », a-t-elle dit en souriant à la barre. Si ce déni protège sur l’instant, il porte un coup d’autant plus fort quand les victimes réalisent ce qu’il en était réellement.

Dans les esprits traumatisés, des images, mais aussi des sons. Les tirs. « Pop ». « Boom ». « Pa ». Chacun y est allé de son onomatopée pour tenter de décrire le bruit des balles éjectées en rafale d’un canon de kalachnikov. Ça ne s’approche que peu du son que tous redoutent désormais. Après les balles, vient l’agonie. Elle aussi s’entend. Maya, grièvement blessée au Carillon, s’est réfugiée entre le caniveau et les roues d’une voiture pour se protéger pendant la fusillade.