Depuis trois semaines, on croyait avoir tout entendu à la cour d’assises spéciale de Paris, avec près de 200 parties civiles qui ont pour beaucoup frôlé la mort, baignant dans le sang au Bataclan, couchées sous les cadavres, bravant la terreur pour s’extraire de l’enfer. On avait écouté les estropiés, les défigurés, les traumatisés raconter les mois d’hôpital, les souvenirs ineffaçables des hurlements des victimes, de l’odeur du sang et de la poudre. On avait vu leurs regards toujours se brouiller à l’évocation du tableau dantesque de la montagne de corps de la fosse, sous la lumière blanche des projecteurs. Restaient pourtant ceux qui ont regardé le plus longtemps la mort dans les yeux, lui ont même en quelque sorte parlé en conversant avec des tueurs hilares qui se délectaient du carnage. Pendant plus de deux heures, dans la phase finale de l’attaque du Bataclan, le soir du 13 novembre 2015, Foued Mohamed-Aggad et Ismaël Omar Mostefaï ont retenu en otages onze personnes dans un couloir des loges, au premier étage de la salle de spectacle. Ces trois femmes et ces huit hommes sont tous sorties indemnes physiquement de la salle, grâce à un assaut final victorieux de l’unité d’intervention de la BRI, la Brigade de recherche et d’intervention. Six de ces survivants ont déposé à la cour ce mercredi 19 octobre, livrant un récit d’une grande brutalité et d’une franchise assumée, ainsi que des réflexions qui posent indirectement beaucoup des questions finales de l’audience.
Il est environ 22 heures ce soir-là et l’horreur est déjà consommée au Stade de France, sur les terrasses de cafés où ont été exécutées 39 personnes et au Bataclan où les tueurs sont entrés un quart d’heure à peine plus tôt, à 21 h 47 précises (lire l’épisode 2, « 13 novembre 2015, si longue est la nuit »). Foued Mohamed-Aggad, 23 ans, Ismaël Omar Mostefaï, 29 ans, et Samy Amimour, 28 ans, trois Français fanatisés en Syrie après leur enrôlement dans l’État islamique, ont ouvert le feu dès leur entrée, provoquant un vent de panique dans la foule de 1 500 personnes environ qui se couchent au sol, se dissimulent où elle peuvent. Après une dizaine de minutes de tirs et des dizaines de morts et des centaines de blessés déjà entassés dans la fosse, l’espace d’un instant, les armes se taisent et le silence revient.
Foued Mohamed-Aggad et Ismaël Omar Mostefaï montent sur le balcon tandis que Samy Amimour reste sur la scène et avise un jeune homme en train de ramper.