Si on ferme les yeux, on se penserait dans une cathédrale pour un enterrement plutôt qu’à un procès pénal. Depuis le début des plaidoiries des avocats de parties civiles, le 23 mai, et jusqu’à début juin, le rituel quotidien a été fixé et il est immuable. L’avocat ou l’avocate fait projeter sur l’écran de la cour une photo du défunt, puis lit une sorte d’oraison funèbre, parfois un texte écrit par la famille, voire un poème. Me Pierre Thevenet, ainsi, pour Chloé Boissinot, tuée à 25 ans à la terrasse du Carillon. « Arrachée aux joies de la terre par la folie islamiste, je suis allée vers le soleil, j’ai survolé les montagnes dans la sérénité, […] j’ai tendu les bras et caressé le visage de Dieu. » On raconte encore une fois ces vies plongées dans l’affliction, on relate d’effroyables histoires de couples séparés par la mort au Bataclan, comme celle de Germain Ferey, qui a crié « Cours ! » à sa compagne tétanisée, avant de succomber lui-même. Juste avant les attaques, il avait curieusement eu une conversation à la table familiale où il se demandait lequel des deux parents d’un jeune enfant devait rester en vie, s’il fallait choisir. Il penchait pour la mère. On écoute aussi l’histoire de Julien Galisson, qui a dit à sa compagne alors qu’ils entraient ensemble joyeusement au concert des Eagles of Death Metal : « Tu es la femme de ma vie. » Il est mort après s’être couché sur elle pour la protéger, en lui disant : « Ne t’inquiète pas, tu vas t’en sortir. » Il y a aussi l’histoire de cette jeune femme, dont la famille veut rester anonyme, et qui a commis l’erreur funeste de revenir à la terrasse du Carillon dont elle avait pu s’échapper, pour tomber sur le terrible spectacle du carnage. Il n’a plus quitté son esprit, paralysant son existence. En novembre 2021, deux mois après l’ouverture de l’audience, elle s’est suicidée.