Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenus : Ange Albertini, né le 12 août 1946 à Corte, en Corse, divorcé, un enfant, chauffeur, demeurant 3, avenue Porette à Corte, de nationalité française.
Edmond Boivert, né le 25 juillet 1945 à Guilly, dans le Loiret, célibataire, gardien de la paix, demeurant 2, rue Marius Jacotot à Puteaux, dans les Hauts-de-Seine, de nationalité française.
Xavier Joly, né le 17 décembre 1942 à Boghari, en Algérie, marié, un enfant, gardien de la paix, demeurant 3, boulevard Malesherbes, à Paris, de nationalité française.
Attendu que le 27 août 1971, les trois prévenus, gardiens de la paix, après avoir cessé leur service, ayant revêtu leurs vêtements civils, prirent un repas en commun fortement arrosé de vins, précédé et suivi de nombreuses libations en compagnie d’un quatrième collègue, le gardien Serre. Attendu que ce dernier, que ces excès alimentaires avaient rendu malade, devait se tenir à l’écart des incidents de la nuit, se bornant à conduire ses camarades dans sa voiture automobile et à les accompagner au commissariat après leur interpellation.
Attendu que les trois prévenus se faisaient conduire vers 2 heures du matin au bois de Boulogne où ils interpellaient des prostituées, l’un d’eux, Boivert, acceptant les propositions d’un “travesti”, pendant que les deux autres, énervés par l’alcool, jouant les bravaches, exhibaient, l’un, Joly, son arme administrative, l’autre, Albertini, un couteau type vendetta et ajoutaient qu’ils étaient policiers. Mais attendu qu’une des prostituées, prenant peur, alertait les occupants d’une voiture banalisée de la police qui circulait dans le secteur et lui signalait la présence d’individus armés.
Attendu que le brigadier Peyrol, accompagné des agents Arthur et Monthiers, tous les trois en civil, intervenaient en conséquence et interpellaient Albertini et Joly puis Boivert sortant d’un fourré du bois, constataient que les deux premiers étaient bien porteurs d’armes et apprenaient avec stupeur que ces individus ivres et débauchés étaient, comme eux-mêmes, des gardiens de la paix. Attendu que le brigadier Peyrol leur faisait alors justement remarquer que “leur place n’était pas ici” et les invitait à regagner leur domicile, leur rendant même leurs armes respectives. Mais attendu que ces observations, à la fois sages et raisonnables, eurent au contraire pour effet d’exciter davantage ses interlocuteurs et de les mettre en fureur ; que les trois prévenus insultèrent le brigadier Peyrol et les agents, criant “que la police était pourrie, que les policiers en civil marchaient avec les prostituées et les travestis”, créant le scandale par leurs insultes grossières ; attendu qu’Albertini sortant et ouvrant son couteau, menaçait les policiers de leur “faire la peau” et pointait la lame du couteau à la hauteur du visage et du cou du brigadier assis à l’avant à côté du chauffeur, vitre baissée, tandis que ses camarades Joly et Boivert donnaient des coups de pied dans la carrosserie de la voiture de service.
Attendu qu’après avoir été conduits au poste de police par un car police secours appelé en renfort les prévenus, notamment Albertini, continuèrent à tenir des propos outrageants à l’égard des policiers qui les avaient interpellés dans le bois. Attendu qu’un dosage d’alcool effectué par le laboratoire de toxicologie devait révéler qu’Albertini avait 1,75 gramme par litre, Boivert 1,9 gramme et Joly 1,45 gramme. Attendu que les propos outrageants qui ont été entendus par tous les témoins, prostituées, agents de police tant du car police secours que de l’équipe spéciale, ne sont pas contestés par les prévenus qui se bornent à déclarer qu’ils ne se souviennent pas exactement des termes employés par eux ; mais attendu qu’il résulte de la procédure et des débats que seul Albertini a commis des violences et voies de fait sur la personne du brigadier de police Peyrol, que Joly et Boivert n’ont fait que donner des coups de pied dans le bas de la portière avant droite de la voiture de police, que, dans ces conditions, le délit de violences ne paraît pas caractérisé en ce qui les concerne et qu’il y a lieu de les relaxer de ce chef.
Attendu que le tribunal entend sanctionner par un avertissement sévère le comportement inadmissible de ces trois gardiens de la paix ; qu’en effet, plus que des citoyens ordinaires, ils doivent faire preuve, même en dehors de leur service, de maîtrise d’eux-mêmes et de correction, qualités précisément requises dans l’exercice quotidien de leurs fonctions ; relaxe Boivert Edmond et Joly Xavier du chef de violences ; déclare Albertini Ange atteint et convaincu de délit d’outrages à agents et violences ; déclare Joly Xavier atteint et convaincu du délit d’outrages à agents ; déclare Boivert Edmond atteint et convaincu du délit d’outrages à agents ; condamne Albertini Ange à la peine de trois mois d’emprisonnement, Boivert Edmond à la peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis et à 1 000 francs d’amende et Joly Xavier la peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis et à 1 000 francs d’amende. »