Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenue : Francine Schmitt, née Pajot le 2 décembre 1924 à Commentry, dans l’Allier, mariée, un enfant, sans profession, demeurant 5, rue des Poissonniers, à Paris XVIIIe, actuellement détenue au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, en Essonne.
Attendu que par ordonnance d’un des juges d’instruction de ce siège, la nommée Pajot Francine, épouse Schmitt, a été renvoyée devant ce tribunal sous la prévention d’avoir à Paris, le 8 février 1973, par aliments, breuvage, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen, procuré ou tenté de procurer l’avortement de femmes enceintes ou supposées enceintes, qu’elles y aient consenti ou non et, notamment, de Ceriola Blandine, épouse Derain. Attendu qu’à l’audience de ce jour, Derain François, époux de la victime, ès qualité d’administrateur légal de Derain Marianne, sa fille, se constitue partie civile, demande la condamnation de dame Pajot à 15 000 francs à titre de dommages intérêts et fait valoir au soutien de cette demande que les faits poursuivis constituent l’infraction de violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner, de telle sorte qu’il conviendrait de renvoyer la prévenue devant la cour d’assises de Paris ou, subsidiairement, si les faits étaient retenus sous la qualification visée dans la citation, de statuer sur sa demande en application de l’article 317 du Code pénal ou de toute autre qualification retenant la mort de la victime.
Attendu que cette constitution de partie civile est recevable en la forme ; mais attendu que, dans le cadre de la présente poursuite, où seules ont été retenues les infractions à l’article 317 du Code pénal reprochées à la susnommée Pajot Francine, le tribunal régulièrement saisi desdites infractions ne peut se reconnaitre incompétent pour statuer sur cette poursuite dès lors que les faits retenus par l’ordonnance de renvoi seraient nettement établis et ne saurait l’examiner, en outre, sous une qualification qui ne peut se confondre ou mème s’assimiler avec celle visée par l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction. Qu’il échet, en conséquence, de rejeter la demande de la partie civile tendant à ce que le tribunal se déclare incompétent et d’examiner cette poursuite sous la qualification retenue dans ladite ordonnance tant dans le cadre de l’action publique que dans le cadre de l’action civile.
Attendu, sur l’action publique, que Pajot Francine a reconnu, tant à l’information qu’au cours des débats, qu’elle avait pratiqué des manœuvres abortives sur plusieurs femmes et en dernier lieu sur la dame Ceriola Blandine, demandant le plus souvent 300 ou 400 francs pour prix de son intervention ; qu’ainsi la prévention d’avortement est juridiquement constituée.
Attendu, sur l’action civile, qu’il apparaît que l’objet de la présente poursuite n’est pas en relation directe avec le préjudice allégué par la partie civile au soutien de sa demande de dommages et intérêts ; qu’il y a lieu en conséquence de débouter le sieur Derain François de sa demande ; que cependant le tribunal trouve en la cause des éléments d’appréciation suffisants pour le dispenser des frais en raison de sa bonne foi et dire que les frais resteront à la charge du Trésor.
Le tribunal déclare la femme Schmitt, née Pajot Francine, coupable du délit d’avortement qui lui est reproché, condamne femme Schmitt, née Pajot Francine, à la peine de deux ans d’emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis. La femme Schmitt n’ayant jamais été condamnée à l’emprisonnement pour crime ou délit de droit commun, antérieurement aux faits faisant l’objet de la présente poursuite, ordonne son maintien en détention ; reçoit la constitution de partie civile du sieur Derain, ès qualité d’administrateur légal de sa fille mineure, Marianne Derain, née le 7 octobre 1970. Rejette les conclusions tendant à l’incompétence du tribunal. Retient la qualification d’avortement, déboute la partie civile, sieur Derain ès qualité, le préjudice invoqué par le demandeur n’étant pas la conséquence directe de l’infraction retenue à l’ordonnance de renvoi. »