Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenus : Albert Darfeuille, né le 5 mai 1918 à Mâcon, en Saône-et-Loire, marié, sans enfant, plombier, demeurant 8, rue Dauphine à Paris VIe, de nationalité française.
Gisèle Garnerin, née Thomas le 16 septembre 1912 à Poitiers, dans la Vienne, mariée, deux enfants, sage-femme, demeurant 5, villa Hallé à Paris XIVe, de nationalité française.
Attendu que, le 19 janvier 1972, vers 20 h 40, Leroux Hervé, locataire de l’hôtel Windsor, rue de l’ancienne Comédie, perçut une odeur de gaz qui s’échappait de la chambre 16, occupé par son ami Sudrat Patrick, et prévint le gardien de l’hôtel qui ferma le compteur à gaz alimentant la chambre 16 et alerta les pompiers. Attendu que ceux-ci, après avoir enfoncé la porte, trouvèrent Sudrat Patrick étendu sans vie sur son lit et remarquèrent notamment que le radiateur à gaz servant d’appareil de chauffage pour sa chambre était encore chaud. Attendu que l’examen spectroscopique du sang de la victime, pratiqué par le docteur Garat, révélait un coefficient d’intoxication oxycarbonée à 0,66, l’autopsie effectuée par le docteur De Ponge confirmant que la mort était la conséquence d’une intoxication oxycarbonée.
Attendu qu’une expertise, pratiquée par monsieur Demonge René, ingénieur expert, a révélé que l’oxyde de carbone provenait de la mauvaise combustion du radiateur à gaz Chappée, mal entretenu et l’échappement, dans la chambre, de gaz de ville non brûlé, causé par des refoulements dus à l’obstruction du tuyau de raccordement à un conduit de fumée en pigeonnage et aux perturbations de tirage. Attendu qu’il appartenait à dame Garnerin, propriétaire de l’hôtel et qui en assurait elle-même la gérance, de maintenir l’appareil de chauffage en bon état de marche et de faire ramoner le conduit chaque année.
Attendu d’autre part que l’installateur Darfeuille aurait dû refuser de brancher ledit appareil sur un conduit non conforme aux normes et règlements en vigueur : conduit en pigeonnage interdit à l’usage du gaz, surmonté à sa partie haute sur souche par une girouette proscrite, la souche et le conduit se trouvant encaissés entre des immeubles et, donc dans une zone particulière de perturbation. Attendu que les préventions se trouvent ainsi établies, que les prévenus n’ont pas d’antécédents judiciaires. Attendu qu’il existe des circonstances atténuantes.
Attendu que Sudrat William et son épouse née Rey Alice, père et mère de la victime, se constituent partie civile et réclament chacun la somme de 35 000 francs à titre de dommages et intérêts et 3 100 francs, montant des frais d’obsèques ; que leur conseil a précisé oralement que le seul préjudice matériel subi était constitué par les frais d’obsèques. Attendu que Sudrat Richard, frère de la victime et Sylvia Rams, sœur utérine de la victime, se constituent également partie civile et demandent chacun la somme de 15 000 francs à titre de dommages et intérêts. Attendu que, bien que non justifiés, les frais d’obsèques réclamés sont modérés. Attendu que Sudrat Patrick, né le 6 janvier 1951, était le plus jeune enfant de la famille et a dû être entouré d’affection par son frère et plus particulièrement par sa demi-sœur de cinq ans son aînée. Attendu qu’il avait quitté le domicile paternel et demeurait rue de Valois avant de s’installer à l’hôtel Windsor.
Le tribunal déclare femme Garnerin née Thomas Gisèle et Darfeuille Albert coupables du délit d’homicide involontaire sur la personne de Sudrat Patrick ; condamne Darfeuille Albert à 2 000 francs d’amende, femme Garnerin née Thomas Gisèle à 2 000 francs d’amende, reçoit la constitution de partie civile de William Sudrat , de dame Sudrat née Rey Alice, de Richard Sudrat et de demoiselle Rams Sylvia, et condamne solidairement Darfeuille et dame Garnerin à payer : à Sudrat William la somme de 20 000 francs en réparation de son préjudice moral, à dame Sudrat née Raynaud Christiane la somme de 20 000 francs en réparation de son préjudice moral, à Sudrat Richard la somme de 5 000 francs en réparation de son préjudice moral, à demoiselle Rams Sylvia la somme de 5 000 francs en réparation de son préjudice moral et la somme de 3 100 francs aux époux Sudrat, montant des frais d’obsèques. »