Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenu : Lucien Lenormand, né le 9 mai 1913 à Paris, divorcé, un enfant, retraité, demeurant 5, boulevard Voltaire à Paris XIe, de nationalité française.
Attendu que le 6 mars 1972 à 21 h 20 boulevard de Belleville à Paris un grave accident de la circulation se produisait qui devait coûter la vie au sieur Hamad Mustafa, qu’en effet ce dernier, qui traversait à pied la chaussée sur un passage pour piétons, fut renversé par la voiture automobile que conduisait le prévenu, fut grièvement blessé et décédait des suites de ses blessures le 1er avril 1972.
Attendu que sans contester ce qui précède, Lenormand a prétendu qu’il était arrivé sur le passage clouté alors qu’un signal “Au vert” l’y autorisait et qu’il n’avait pu éviter ce piéton surgissant brusquement. Mais attendu qu’il résulte des renseignements concordants fournis par deux témoins, Hamidi et Belkacem, que Hamad s’est engagé sur la chaussée sous la protection des signaux optiques “Passez piétons” et que Lenormand a franchi un feu rouge. Attendu que c’est aussi la conclusion des experts commis pour rechercher les causes de l’accident. Attendu que la preuve est donc rapportée que Lenormand a commis des fautes d’imprudence et d’inobservation de la réglementation qui ont entraîné l’accident, que le prévenu doit donc être jugé coupable du délit d’homicide involontaire qui lui est reproché. Attendu que Lenormand jamais condamné peut bénéficier du sursis à l’emprisonnement et qu’il y a lieu d’ordonner la suspension de son permis de conduire.
Attendu que le défunt était né le 17 août 1928 et exerçait la profession de manœuvre au gain mensuel net de 1 350 francs environ, qu’il était marié avec Hamad Souheir et père de sept enfants tous vivants en Algérie, qu’il subvenait à leurs besoins par des envois réguliers d’argent et ne manquait pas d’aller les retrouver aux grandes vacances. Attendu que la responsabilité des conséquences de l’accident incombe entièrement au prévenu, aucune faute en relation avec l’accident n’étant démontrée à la charge de la victime.
Le tribunal déclare Lenormand Lucien convaincu et coupable d’homicide involontaire. Condamne Lenormand a la peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis et mille francs d’amende. Ordonne la suspension de son permis de conduire pendant une durée de quatre mois. Condamne Lenormand Lucien à payer à la dame veuve Hamad Mustafa pour elle-même la somme de 90 864 francs à titre d’indemnité complémentaire. Condamne Lenormand Lucien à payer à la veuve Hamad ès qualités d’administratrice des biens de ses enfants mineurs les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts : pour Hamad Abed la somme de 6 000 francs, pour Hamad Ahmed la somme de 6 500 francs, pour Hamad Yasmina la somme de 13 000 francs, pour Hamad Zahra la somme de 13 000 francs, pour Hamad Karim la somme de 14 000 francs et pour Hamad Souad la somme de 14 000 francs. Dit que ces sommes destinées aux mineurs seront employées sous le contrôle du juge des tutelles territorialement compétent en Algérie ou du magistrat exerçant des fonctions similaires. Condamne Lenormand à payer à la demoiselle Hamad Zouina la somme de 3 000 francs à titre de dommages intérêts. Condamne Lenormand à rembourser à la Caisse primaire d’assurance maladie la somme de 15 904 francs, montant des prestations par elle versées. »