Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenus : Roger Fekir, né le 10 décembre 1937 à Alger, en Algérie, marié, sans enfant, commerçant, demeurant 5, rue du docteur Pinel à Créteil, dans le Val-de-Marne, de nationalité française.
Joseph Schapira, né le 1er janvier 1926 à Paris XIIe, marié, sans enfant, journaliste, demeurant 6, rue de Dantzig à Paris XVe.
Michel Leclercq, né le 12 décembre 1938 à Bordeaux, en Gironde, marié, deux enfants, directeur d’imprimerie, demeurant 7, square Lafontaine au Bouscat, en Gironde.
Jacques Théophile, né le 13 octobre 1939 à Dijon, en Côte-d’Or, libraire, demeurant 3, rue des Chantiers à Versailles, dans les Yvelines.
André Fontaine, né le 29 octobre 1942 à Dieppe, en Seine-Maritime, marié, un enfant, éditeur, demeurant 4, rue Casset à Paris VIe.
Charles Charron, né le 10 juillet 1922 à La Rochelle, en Charente-Maritime, marié, cinq enfants, éditeur libraire, demeurant 8, rue Vanneau à Paris VIIe.
André Canon, né le 7 août 1933 à Antony, dans les Hauts-de-Seine, marié, deux enfants, libraire, demeurant 1, rue du Maréchal-Juin à Limoges, en Haute-Vienne.
Georges Ramette, né le 12 mars 1939 à Toulouse, en Haute-Garonne, marié, sans enfant, gérant de société, demeurant 12, boulevard du Maréchal-Leclerc à Toulouse, actuellement sans domicile connu.
Serge Tordjman, né le 23 janvier 1947 à Oran, en Algérie, marié, un enfant, confectionneur, demeurant 1, boulevard Davout à Paris XXe, de nationalité française.
Serge Pellegrit, né le 16 octobre 1919 à Paris XIIe, veuf, trois enfants, directeur commercial, demeurant 10, avenue Curie à Chaville, dans les Hauts-de-Seine.
Attendu que suivant ordonnance de monsieur Viossat Guy, juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris, en date du 11 avril 1973, les prévenus ont été renvoyés devant le tribunal de ce siège sous la prévention d’avoir à Créteil, dans le Val-de-Marne, courant mai 1971, fabriqué, détenu en vue d’en faire commerce et distribution, vendu, mis en vente, distribué ou remis en vue de leur distribution, par un moyen quelconque, un certain nombre d’exemplaires imprimés de l’ouvrage intitulé Sexum, comportant des écrits contraires aux bonnes mœurs.
Attendu que les premières recherches effectuées par la police en vue d’identifier l’auteur étaient demeurées vaines, en raison du refus de Fekir de révéler l’identité de celui-ci. Attendu qu’au cours de l’information, une perquisition au siège du centre d’Éditions françaises permit de découvrir un contrat établi entre Fekir et un sieur Rémy Chaprat ; qu’entendu par les enquêteurs, Joseph Schapira, dit Rémy Chaprat, journaliste et écrivain, reconnut qu’il était l’auteur de l’ouvrage incriminé, ajoutant que s’il avait indiqué à Fekir le pseudonyme de Max Lover, c’était parce qu’il ne tenait pas à ce que son nom “fût attaché pour toujours à une production érotique” ; qu’en conséquence, Schapira est poursuivi comme complice du délit d’outrages aux bonnes mœurs.
Attendu que l’ouvrage de 264 pages, Sexum, propose aux lecteurs, dans un récit dépourvu de tout intérêt littéraire ou artistique, la description d’une constante obscénité, d’une opération dite Sexum entreprise par deux époux, qui ont décidé de s’accorder un mois de “vacances extraconjugales” pour se livrer chacun de son côté à des aventures sexuelles “variées et surtout originales”, dont le résumé figure en dernière page de la couverture, étant précisé que ce résumé “prometteur” ne “donne qu’une faible idée de ce que contient Sexum, un livre ou le foutre et la stuprine coulent de page en page”. Attendu que cet ouvrage contient de très nombreuses descriptions de divers ébats et pratiques sexuels ; que le récit n’est qu’une succession de scènes de coïts, de masturbation, de fellation et d’attouchements impudiques auxquelles s’adonnent avec frénésie les deux principaux personnages ; que, tandis que la femme relate ses diverses aventures intimes sur la route, au volant de sa voiture avec des autostoppeuses ou des camionneurs, puis avec des CRS dont elle utilise les pistolets en guise de godemichés, puis avec une carmélite ou encore “toute une équipe de football en même temps”, l’homme évoque notamment ses ébats homosexuels avec plusieurs Nord-Africains, puis des scènes de bestialité avec un cheval, puis des relations intimes dans un caveau funéraire ou encore avec la naine d’un cirque.
Attendu que ces diverses scènes décrites de façon précise, souvent en termes vulgaires, dont la monotonie n’enlève rien à l’indécence, fait appel, par leur caractère offensant pour la pudeur ou par la recherche systématique d’une excitation érotique et malsaine, aux perversions sexuelles, aux instincts les plus grossiers et aux appétits les plus dégradants de l’être humain. Attendu que leur relation donne ainsi un caractère outrageant pour les bonnes mœurs au livre Sexum ; qu’il convient, par conséquent, d’entrer en condamnation vis-à-vis de tous ceux qui ont concouru à sa publication, sa diffusion et sa vente. Attendu toutefois que le but évidemment commercial des principaux artisans d’une telle entreprise doit entraîner une application plus sévère de la loi envers l’éditeur en même temps diffuseur et l’auteur, qu’envers l’imprimeur et les libraires, surtout lorsqu’il s’agit, comme pour Leclercq et Pellegrit, de commerçants non spécialisés dans le marché de la pornographie.
Le tribunal déclare les nommés Fekir, Leclercq, Théophile, Fontaine, Ramette, Charron, Canon, Tordjman et Pellegrit convaincus et coupables d’outrages aux bonnes mœurs, et le nommé Schapira Joseph convaincu et coupable de complicité d’outrages aux bonnes mœurs ; condamne le nommé Fekir Roger à la peine de 4 000 francs d’amende, le nommé Schapira Joseph à la peine de 3 000 francs d’amende, le nommé Leclercq Michel à la peine de 1 500 francs d’amende, le nommé Théophile Jacques à la peine de 1 500 francs d’amende, le nommé Fontaine André à la peine de 1 200 francs d’amende, le nommé Charron Charles à la peine de 1 200 francs d’amende, le nommé Canon André à la peine de 800 francs d’amende, le nommé Ramette Georges à la peine de 800 francs d’amende, le nommé Tordjman Serge à la peine de 1 000 francs d’amende, le nommé Pellegrit Serge à la peine de 300 francs d’amende ; prononce la saisie et la destruction des exemplaires du livre Sexum. »