Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenues : Josette Moussart, née Severin, née le 22 novembre 1934 à Paris, mariée, secrétaire, demeurant 2, rue de la Paix à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, de nationalité française.
Nelly Base, née Sournis, née le 18 décembre 1931 à Montrouge, dans les Hauts-de-Seine, sans profession définie, demeurant 3, avenue Princesse Alice à Monte-Carlo.
Attendu que les deux prévenues se sont succédé dans les fonctions de gérante de la SARL Centre national de caractérologie (CNC) dont l’objet commercial est “Toutes études caractérologiques et psychologiques […], la publicité sous toutes ses formes […], la vente par correspondance de tous produits français ou étrangers”. Que dame Sournis exerça ses fonctions de 1963 au 30 septembre 1971, date à laquelle dame Severin la remplaça jusqu’au 23 février 1973. Attendu que dame Sournis-Base reconnaît qu’entre les mois de juin et de septembre 1971 elle fit paraître dans la presse une publicité afin de promouvoir la vente par correspondance de colliers de perles de culture importés du Japon. Que les contrats de publicité étant prévus pour une durée de six mois, dame Severin-Moussart reconnaît qu’elle a repris à partir du 1er octobre 1971 la publicité entreprise par la dame Sournis. Attendu que le texte publicitaire paru notamment dans le journal Détective, le journal Âge tendre et le journal Intimité était ainsi libellé : “Maintenant commandez directement au Japon de vraies perles de culture garanties par certificat d’origine et d’authenticité pour un prix jamais vu en France. Pourquoi payer jusqu’à 1 500 francs des perles de culture japonaises alors que vous pourriez avoir ce collier pour 145 francs seulement ? À condition de le commander directement à Tokyo (145 francs prix total net reçu chez vous y compris transport, douane, assurance et tous autres frais). Pourquoi ce prix incroyable ? En commandant directement au Japon vous éviterez tous les intermédiaires, exportateurs importateurs transitaires, détaillants, grossistes dont le bénéfice s’accumule pour augmenter considérablement le prix de la marchandise. Hâtez-vous de profiter de cette offre à bas prix.”
Attendu que, à la même page du journal, figurait un bon de commande à adresser à “Falcon Pearl depart Tamike Meisan BLDG 1-2,1 à Kasaka Ninato Ku Tokyo - Japon”. Attendu qu’en réalité la correspondance envoyée à cette adresse n’était même pas ouverte mais retournée directement au Centre national de caractérologie qui honorait les commandes en se procurant la marchandise auprès de la Société commerciale d’exportation et de transaction (SCET) à Monte-Carlo, laquelle effectuait le dédouanement. Attendu que la prévention fait grief aux dirigeants du CNC d’avoir par le libellé de leur publicité fait croire à la clientèle que la marchandise qu’elle se procurait provenait directement du producteur japonais sans passer par aucun intermédiaire, ce qui était inexact puisqu’il existait un importateur dans le circuit.
Attendu que les prévenues soutiennent pour leur défense que la publicité n’était pas mensongère puisque s’agissant de perles provenant du Japon l’intervention d’un importateur était nécessaire et ne pouvait être ignorée des acheteurs, que ceux-ci n’ont donc pas été trompés sur ce point. Mais attendu que certaines évidences ne sont pas nécessairement à la portée de la compréhension de certaines catégories du public, qu’à la lecture de l’annonce des personnes crédules ont pu imaginer que le producteur japonais était son propre importateur en France. Attendu au surplus que les opérations de dédouanement se faisaient par les soins de la Société commerciale d’exportation et de transaction ayant son siège à Monte-Carlo mais que cette société jouait également le rôle d’intermédiaire puisqu’il résulte des documents figurant au dossier que la marchandise était facturée par la firme japonaise à la SCET, laquelle à son tour la facturait à la CNC, qu’il apparaît bien notamment d’une lettre du 24 mai 1972 de la SCET à dame Base et d’une facture du 8 février 1972 de la SCET à la société CNC que les transactions intervenues entre ces deux sociétés consistaient en des contrats de vente.
Attendu en outre qu’il existait entre le producteur japonais et le consommateur français un autre intermédiaire en la personne du Centre national de caractérologie qui assurait non seulement la publicité en France des colliers de perles japonais, mais aussi qui les achetait au prix de 47 francs ou 55 francs pour les revendre au prix de 145 francs ou de 195 francs, réalisant ainsi une bénéfice substantiel alors que l’un des avantages prétendus annoncé dans la publicité était la suppression des bénéfices habituellement réalisé par les intermédiaires. Attendu qu’en annonçant que la vente se faisait directement en éliminant “tous les intermédiaires, exportateurs, transitaires, importateurs, grossistes et détaillants” alors que la vente proposée se faisait en réalité avec le concours de deux intermédiaires au moins, dont un importateur, les prévenues se sont rendues coupables du délit qui leur est reproché. Le tribunal déclare Nelly Sournis épouse Base responsable et Josette Severin épouse Moussart coupables du délit de publicité mensongère ; condamne femme Base à la peine de 600 francs d’amende, femme Moussart à la peine de 600 francs d’amende ; déclare le Centre national de caractérologie civilement responsable. »