Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenus : Jean-Claude Leblanc, né le 13 novembre 1950 à Drancy, en Seine-Saint-Denis, marié, agent commercial, demeurant 2, place de Picardie au Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis, actuellement détenu à la prison de Fresnes, dans le Val-de-Marne, de nationalité française.
Christian Pichon, né le 28 mai 1953 à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, célibataire, chaudronnier, demeurant 1, cité de la Muette à Drancy, en Seine-Saint-Denis, actuellement détenu à la prison de Fleury-Mérogis, en Essonne, de nationalité française.
Roland Guichard, né le 4 novembre 1950 à Paris XVIIIe, célibataire, magasinier, demeurant 3, avenue de la Muette à Drancy, en Seine-Saint-Denis, de nationalité française.
Jacky Beauregard, né le 1er août 1936 à Drancy, en Seine-Saint-Denis, célibataire, sans profession, demeurant 4, rue du Thérain à Beauvais, dans l’Oise, actuellement détenu à la prison de Fresnes, dans le Val-de-Marne, de nationalité française.
Attendu que le 28 janvier 1973, vers une heure, Kettani Ahmed, sujet marocain âgé de 41 ans qui, sortant de la station de métro « Porte de la Villette », regagnait son domicile sis à proximité, fut attaqué, sur la voie publique, par les quatre prévenus qui étaient descendus d’une voiture ; que la victime précisa qu’après l’avoir roué de coups, ses agresseurs s’étaient emparés de son portefeuille contenant une somme de 2 450 francs qui avait disparu ; que Kettani ajouta qu’après l’attaque il avait réussi à rejoindre ses agresseurs qui étaient remontés en voiture et à arracher une manette de commande d’éclairage au moment où ils s’enfuyaient.
Attendu que Kettani ayant alerté un automobiliste de passage, celui-ci suivit la voiture des agresseurs dont il nota le numéro et remit ce renseignement à la victime, qui alerta la police en donnant un signalement de deux de ses agresseurs et en précisant que la voiture était une Méhari. Attendu que, munis du numéro d’immatriculation relevé par le témoin, les policiers interpellèrent le propriétaire de la voiture, Leblanc, et que l’enquête permit l’identification de ses trois camarades. Attendu que Kettani précisa, par la suite, le rôle de chacun des prévenus ; que selon la victime, Beauregard s’empara de son portefeuille et y préleva le numéraire puis lui restitua l’objet tandis que Leblanc l’avait frappé à coups de poing et que les deux autres prévenus Guichard et Pichon le maintenaient.
Attendu qu’il est constant que les quatres prévenus se trouvaient sur le lieu de l’agression, après avoir bu ensemble une partie de la nuit, qu’ils circulaient dans la voiture Méhari de Leblanc qui était alors conduite par Beauregard, le moins ivre, paraît-il, des quatre ; que l’arrachement du contacteur fut effectivement constaté. Attendu que Beauregard ne conteste pas avoir volé le portefeuille de la victime mais qu’il prétend l’avoir fait pour “punir” Kettani des propositions de relations homosexuelles que celui-ci lui aurait faites et qu’il n’aurait pas voulu accepter. Attendu que Kettani a formellement dénié cette attitude, qu’aucun élément de l’information ne confirme les accusations purement gratuites de Beauregard ; qu’au contraire c’est celui-ci qui a des tendances homosexuelles.
Attendu que celui-ci nie s’être emparé du numéraire détenu dans le portefeuille de la victime mais que le tribunal estime devoir accueillir dans leur intégralité les déclarations de celle-ci. Attendu qu’il y a lieu de retenir à la charge de Beauregard le vol du portefeuille de Kettani et de son contenu. Attendu que les trois autres prévenus ont contesté avoir participé à l’agression, ayant prétendu qu’ils étaient restés dans la voiture à somnoler pendant que Beauregard s’était éloigné pour aller satisfaire un besoin naturel. Mais attendu que Beauregard, arrêté près de deux mois après les trois coprévenus et qui n’avait donc pu s’entendre avec eux, a déclaré lui-même à l’instruction que lui et ses trois camarades étaient descendus tous quatre de voiture et avaient eu une altercation avec Kettani, au cours de laquelle notamment Guichard l’avait frappé à coups de poing, confirmant ainsi en partie la version de la victime et les violences exercées.
Attendu d’ailleurs que la réalité des coups portés à Kettani s’est trouvée confirmée par une expertise médicale lui accordant une incapacité temporaire totale de huit jours et une incapacité permanente partielle de 5 %. Attendu dès lors que le tribunal retient les accusations de Kettani, d’ailleurs confirmées à l’audience sous serment, et déclare les quatre prévenus coupables du vol qui leur est reproché. Attendu que Beauregard a déjà été condamné quatre fois dont trois pour vol, qu’il est très mal noté et se trouve en état de récidive légale sur une condamnation prononcée le 8 janvier 1973 par la cour d’appel de Paris pour vol à quinze mois d’emprisonnement, devenue définitive, qu’il y a lieu de lui infliger une peine d’emprisonnement sévère ; que les trois autres prévenus dont les casiers judiciaires ne mentionnent pas de condamnation à l’exception de Guichard, condamné pour coups et blessures volontaires, et qui paraissent avoir commis un délit occasionnel, doivent être sanctionnés de peines mixtes. Attendu que Kettani, qui n’a pas retrouvé son argent, demande 3 000 francs à titre de dommages et intérêts, que le tribunal estime devoir lui accorder cette indemnisation.
Le tribunal déclare Leblanc Jean-Claude, Pichon Christian, Guichard Roland et Beauregard Jacky coupables de vol ; condamne Leblanc Jean-Claude à huit mois d’emprisonnement dont quatre mois avec sursis, Pichon Christian à huit mois d’emprisonnement dont quatre mois avec sursis, Guichard Roland à huit mois d’emprisonnement dont quatre mois avec sursis, Beauregard Jacky à dix-huit mois d’emprisonnement ; ordonne son maintien en détention pour éviter le renouvellement de l’infraction ; condamne solidairement Leblanc, Pichon, Guichard et Beauregard à verser à Kettani la somme de 3 000 francs à titre de dommages et intérêts. »