Un dessin de Charb montrant une femme enfermée dans une burqa qui lui laisse les fesses à l’air, fredonnant le tube « chacun fait-fait-fait ce qu’il lui plaît-plaît-plaît », a mis la cour d’assises cul par-dessus-tête. Projeté parmi d’autres à la demande de la famille du dessinateur tué le 7 janvier, il a emporté le prétoire dans un surréaliste éclat de rire général, associant juges, familles de victimes, survivants et certains accusés. C’était le 11 septembre, au bout d’une semaine d’abomination, remplie des photos sanglantes de la scène de crime, de récits hallucinés des tueries, de pleurs sur les vies enfuies (lire l’épisode 4, « “Cet attentat, il est en moi comme incarné dans ma peau” »). Soudainement, avec ce rire qui mettait quelque peu l’horreur à distance, on s’est aussi souvenu qu’il y avait onze hommes à juger, et qu’ils niaient toute implication terroriste (lire l’épisode 2, « Attentats de janvier 2015 : le procès des spectres »).
C’est l’enjeu véritable de ce procès : ces onze « arsouilles », voyous multi-condamnés du box, accusés d’aide logistique, peuvent-ils être sanctionnés au même niveau et avec les mêmes incriminations terroristes que des jihadistes ? Est-on en présence d’un authentique « deuxième cercle » d’Al Qaeda et de l’État islamique, des bandits parfois radicalisés qui ont appuyé idéologiquement une campagne d’assassinats ? Sont-ils au contraire de simples « idiots utiles » des fanatiques, mis à contribution mais tenus dans l’ignorance des projets véritables ? La peine encourue, suivant qu’on retienne l’un ou l’autre de ces scénarios, va du simple au double. Il y a aussi un corollaire presque politique : la justice antiterroriste, érigée depuis 2019 en institution autonome avec la création du Parquet national antiterroriste (PNAT), a-t-elle réalisé une pêche finaude dans les coulisses du crime, ou un coup de filet un peu à la marge, « survendu » à l’opinion ?

Il faut au début de ce procès se contenter d’impressions, et il y a un certain contraste à cet égard entre le moment où voit arriver les accusés dans le box, entravés et entourés d’une nuée de policiers d’élite cagoulés, et celui où ils prennent la parole. Aucun ne se revendique du jihadisme ni même d’un islam radical. Parmi ceux qui se gondolaient devant les bêtises blasphématoires de Charb, il y avait par exemple un personnage qu’il aurait pu dessiner : Michel Catino, ancien cafetier belge bedonnant, dégarni et diabétique de 68 ans. Cet accusé résume les ombres du dossier.
Il est détenu depuis cinq ans et demi et encourt jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle pour « association de malfaiteurs terroriste en vue de préparer des crimes d’atteinte aux personnes », incrimination qui vise dix des onze accusés.