Le latex lui va à ravir. Telle la peau de sa marionnette des Guignols qui a tant contribué à populariser ses gimmicks, Jacques Chirac est d’une totale plasticité intellectuelle et idéologique. Des décennies durant, la conquête du pouvoir l’a obsédé. Sans trop savoir comment l’exercer ensuite. « Bison égocentrique », comme on l’appelait chez les scouts, a traversé sans boussole la vie politique et son cortège de petits déserts. Avec pour viatique ce précepte de l’écrivain nippon et fils de samouraïs, Fukuzawa Yukichi : « Vivons le présent en nous tournant vers l’avenir. » Ce genre de maxime creuse a l’avantage de son simplisme : on peut l’interpréter en y mettant tout et son contraire. Idéal pour Chirac, parfait pour s’inscrire dans la durée.
Habité par une sorte d’état de confusion permanente, Jacques Chirac a toujours eu une piètre opinion de lui-même. Souvent, je l’ai entendu interroger sa fille, Claude, ou un collaborateur avec cette phrase : « Et là, on ne va pas emmerder les gens ? » Un jour qu’on le questionnait sur ses convictions de droite ou de gauche, il avait eu cette réponse sérieuse : « Vous voulez le fond de ma pensée ? Vous voulez vraiment ? Eh bien franchement, je n’en sais rien. » De fait, toute sa vie publique est jalonnée de grands écarts idéologiques, de contradictions, de fulgurances et de bassesses.
Le voilà donc communiste à ses 18 ans, qui vend L’Humanité dans le quartier Saint-Sulpice à Paris, séduit par le pacificisme des « camarades » mais vite horrifié par le stalinisme.