Le latex lui va à ravir. Telle la peau de sa marionnette des Guignols qui a tant contribué à populariser ses gimmicks, Jacques Chirac est d’une totale plasticité intellectuelle et idéologique. Des décennies durant, la conquête du pouvoir l’a obsédé. Sans trop savoir comment l’exercer ensuite. « Bison égocentrique », comme on l’appelait chez les scouts, a traversé sans boussole la vie politique et son cortège de petits déserts. Avec pour viatique ce précepte de l’écrivain nippon et fils de samouraïs, Fukuzawa Yukichi : « Vivons le présent en nous tournant vers l’avenir. » Ce genre de maxime creuse a l’avantage de son simplisme : on peut l’interpréter en y mettant tout et son contraire. Idéal pour Chirac, parfait pour s’inscrire dans la durée.
Habité par une sorte d’état de confusion permanente, Jacques Chirac a toujours eu une piètre opinion de lui-même. Souvent, je l’ai entendu interroger sa fille, Claude, ou un collaborateur avec cette phrase : « Et là, on ne va pas emmerder les gens ? » Un jour qu’on le questionnait sur ses convictions de droite ou de gauche, il avait eu cette réponse sérieuse : « Vous voulez le fond de ma pensée ? Vous voulez vraiment ? Eh bien franchement, je n’en sais rien. » De fait, toute sa vie publique est jalonnée de grands écarts idéologiques, de contradictions, de fulgurances et de bassesses.
Le voilà donc communiste à ses 18 ans, qui vend L’Humanité dans le quartier Saint-Sulpice à Paris, séduit par le pacificisme des « camarades » mais vite horrifié par le stalinisme. À Sciences-Po, il trouve son grand copain Michel Rocard pas assez à gauche. Dans ses mémoires, il assure avoir été dès les années 1960 un militant clandestin de l’ANC, le parti anti-apartheid de Nelson Mandela, qu’il aurait financé. Invérifiable.
En 1975, il est le chef de gouvernement qui légalise l’avortement en France sous la houlette de sa ministre Simone Veil. Député d’opposition en 1981, il fait partie de ces seize parlementaires de droite qui voteront le texte de Robert Badinter sur l’abolition de la peine de mort. Par conviction.

Jacques Chirac donne le tournis : il a été gaulliste, pompidolien, étatiste-colbertiste, libéral version Thatcher au début des années 1980, pourfendeur du libéralisme quinze ans plus tard, pronucléaire et défenseur de l’agriculture ultra-productiviste, écolo-altermondialiste (dans les mots) au tournant du millénaire. Souvent (très) à droite, parfois (un peu) à gauche.