Il serait vain de tenter de lui échapper. Il a posé ses mailles un peu partout sur les étals. Il opère souvent à découvert, affichant ses rennes et ses flocons. Le pull de Noël vous cerne. Même ce collègue de bureau que vous ne soupçonniez pas d’accointances kitsch vient de mettre son badge sur la machine à café, enveloppé d’un chandail vert parsemé de flocons ou de motifs géométriques rappelant vaguement à votre cerveau embrumé un souvenir de ski dans les années 1980. Le pull de Noël est ici camouflé sous un motif édulcoré. Mais c’est bien lui qui emmaillote le torse de ce collaborateur habituellement smart. Car le pull, ce n’est pas que la douceur, du chaud et les aiguilles à tricoter de Mamie, c’est aussi de l’anthropologie, de la macroéconomie, de l’histoire et pas mal d’écologie, ainsi qu’on le verra dans les prochains épisodes. En attendant, dans la quinzaine qui précède les fêtes de fin d’année, personne n’échappe donc au pull de Noël, au point qu’il se célèbre internationalement le troisième vendredi de décembre, soit ce vendredi 15 cette année.
Ce fléau du style s’est bien entendu échappé de la perfide Albion, cela n’étonnera personne. Outre-Manche, l’ONG Save the children organise chaque année, à la mi-décembre, une journée consacrée pour le vêtir, fixée cette année au 7 décembre. Comme tous les ans depuis 2012, l’organisation caritative a donc invité les sujets du Royaume-Uni à aider les enfants « confrontés à des problèmes graves tels que la guerre, la faim et la pauvreté » par une méthode simple : « en vous déguisant et en vous amusant ». Comme ils sont des millions à répondre à l’appel et, par la même occasion, à verser deux livres sterling à l’ONG, le pull de Noël se révèle cousu de fils d’or : 35 millions de livres sterling (40 millions d’euros) ont été récoltés en une décennie grâce au tricot laid qui sied parfaitement à l’humour décalé de nos voisins îliens.
Noël est la quintessence des contradictions de l’époque, qui donne l’injonction de changer ses pratiques dans une société qui, elle, n’a pas changé de modèle. […] On s’en fiche alors complètement du mode de production du pull de Noël.
Ces derniers l’ont eux-mêmes chipé à une tradition centenaire des pays nordiques qui consistait, pour les femmes et mères de pêcheurs, à tricoter ces vêtements de laine en les ornant de motifs différents selon les villages. Ce qui permettait, en sus de tenir chaud dans les bourrasques, d’identifier les corps noyés en mer. Récupéré par le monde de la télé, le pull de Noël est devenu le vêtement moche, un peu honteux et franchement encombrant dans une soirée mondaine hivernale qui fait de Mark Darcy, le héros masculin du Journal de Bridget Jones, sorti en 2001, un objet de moqueries.