Il est à peine 10 heures, ce matin de mai, quand le TGV d’Antoine s’immobilise dans le hall de la gare de Lyon, qui relie le Sud-Est de la France à Paris. « Vous ne pouvez pas vous tromper, je serai tout devant. Le premier arrivé :) », avait prévenu le conducteur par texto. On l’aperçoit ranger ses affaires à travers le pare-brise plaqué sur le museau gris du train. Puis sauter sur le quai, suivi d’une valise remplie d’une liasse de règlements, d’une tablette numérique, d’un casse-croûte et d’un gilet fluo, anonyme dans le flot de ses passagers. Comme Martin, son homologue chauffeur de trains de banlieue, croisé au début de cette série (lire l’épisode 2, « La grève, sa ligne de conduite »). À la différence qu’Antoine vient quasiment de traverser le pays du sud au nord en à peine trois heures. Et qu’en ce nouveau jour de grève contre la réforme ferroviaire, il roule quand même.
Depuis le début du mouvement, les « mécanos », ainsi qu’on appelle les conducteurs, restent le métier du rail le plus mobilisé. Jeudi et vendredi derniers, lors du septième round de grève, 56,7 % des conducteurs ont cessé le travail, selon les chiffres fournis par la SNCF. Ce lundi, les quatre syndicats représentatifs au sein de la compagnie sont reçus par le Premier ministre Édouard Philippe pour tenter de relancer des négociations. Mais Antoine, qui a fait grève les deux premiers jours début avril, n’attend rien de la rencontre, comme du conflit social. « Macron a décidé qu’il ne se coucherait pas devant les cheminots. Il ne lâchera pas. »

Antoine, la quarantaine bien entamée, est entré à la SNCF au début des années 1990. Encore une histoire de famille : le grand-père avait travaillé au matériel, le père entretenait des locomotives. Le foyer était abonné à La Vie du rail, la revue fétiche des mordus du chemin de fer. Un petit train électrique, reçu dans l’enfance, a contribué à « déclencher la passion ». Au début de sa carrière, le conducteur sautait sans cesse d’une machine à l’autre : TER, trains de marchandises, puis TGV, à compter de 2006. Au fil des années, la SNCF s’est peu à peu « cloisonnée » et les cheminots ont dû se spécialiser. « Le fret est d’abord passé dans une entité séparée, puis les TER. Seuls quelques dépôts ont encore un peu de mixité », explique Antoine. Lui ne conduit plus que des TGV et regrette ce cloisonnement.