Et soudain, Emmanuel Macron s’est mis à aimer le solaire. Plutôt avare de déclarations et de gestes envers cette énergie pendant son premier mandat, le chef de l’État rattrape son retard depuis sa réélection en 2022. À Marseille, fin juin, on a ainsi pu l’entendre souhaiter « qu’on puisse accélérer dans la production du solaire et la réindustrialisation […] autour du port ». « Je crois à la réindustrialisation par l’écologie, a ajouté le président de la République. Il y a une dizaine d’années, on a développé l’écologie, mais en même temps la dépendance industrielle. On a dit : “On va déployer partout des panneaux solaires mais ils seront produits en Chine.” Très mauvaise idée. » Quelques semaines auparavant, l’Élysée avait profité du sommet Choose France pour officialiser l’implantation d’une usine de production de panneaux photovoltaïques en Moselle. Et, ce lundi, en présentant les objectifs gouvernementaux de planification écologique qui, dixit la Présidence, visent, « pour le photovoltaïque », à « doubler le rythme annuel de développement de nouvelles capacités », Macron a glissé un mot sur la nécessité de renforcer « l’agrivoltaïsme » dans les zones rurales. Des annonces qui confirment les grandes orientations de la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables promulguée en mars dernier. Lors de sa présentation, il y a un an, le chef de l’État avait promis d’installer « plus de panneaux solaires au bord des routes » comme des autoroutes, le long des voies ferrées et sur « les grands parkings et les terres agricoles ». Ajoutant : « On a besoin d’une accélération massive. »
Faut-il croire Emmanuel Macron ? Est-ce que cette fois, c’est la bonne, la France va enfin rattraper son retard (« retard » étant le terme même utilisé par la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher) ? Autre interrogation : notre pays va-t-il pouvoir développer sa propre filière photovoltaïque et ne plus avoir à compter sur ces fameux panneaux chinois qui inondent le marché européen ? Réponse : prudence. Car, des grandes déclarations d’amour au solaire non suivies d’effets, l’histoire de France en est pleine. C’est justement pour cela que nous avons décidé de vous proposer cette série sur la saga de l’énergie photovoltaïque hexagonale qui remontera dans les archives jusqu’au XIXe siècle, à une époque où l’on voulait « mettre le soleil en bouteille ». Et pour débuter ce retour en arrière, et mettre en perspective les annonces d’Emmanuel Macron, intéressons-nous aux déclarations d’intention et aux promesses de ses prédécesseurs.
Premier d’entre eux, François Hollande. Le 20 août 2015, il est au Bourget-du-Lac, en Savoie, pour parler transition énergétique. À quelques mois de la COP21 de Paris, le chef de l’État affirme que la France « doit être exemplaire pour être capable de convaincre tous les pays de signer un accord ». Son discours aligne donc les gages aux énergies vertes, et notamment au photovoltaïque. « Le solaire fait partie de cette priorité que nous avons donnée pour les énergies renouvelables », assure François Hollande. « L’énergie renouvelable doit monter, doit monter davantage en France, et l’énergie solaire en particulier. »
Mais, quelques jours plus tard, quand le gouvernement traduit en actes les déclarations présidentielles, les objectifs se révèlent très modestes. Selon un arrêté signé le 28 août 2015, les pouvoirs publics s’engagent alors à atteindre 8 000 mégawatts de puissance solaire installée d’ici à la fin 2020 (les centrales thermiques fonctionnant avec des énergies fossiles affichent plus de deux fois plus). Or il y a déjà 6 000 mégawatts de puissance installée en 2015
Autre signe du peu de cohérence du président socialiste, rien n’est alors fait pour protéger les entreprises françaises de fabrication de panneaux solaires qui connaissent de grosses difficultés en raison de la concurrence chinoise. Sous son quinquennat, l’usine Sillia VL (appartenant anciennement à Bosch) de Vénissieux, dans le Rhône, doit déposer le bilan avant d’être liquidée en juin 2017. Quant aux unités de l’ex-Total Énergie, transférées par le groupe pétrolier français à sa filiale américaine SunPower Maxeon, elles subissent à partir de 2016 les effets d’un plan mondial de réduction d’effectifs et de réorientation de la production vers l’Asie (stratégie qu’on vous avait racontée dans la série Écran Total). Cela se traduit par la fermeture en 2021 et 2022 des usines d’assemblage de panneaux solaires de Toulouse et de Porcelette, en Moselle, dans un silence politique presque total.
Mais, en matière de stop and go, il y a pire que les socialistes. Entre 2006 et 2011, sous les présidences de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy, l’industrie photovoltaïque française a connu une phase de croissance accélérée, puis un arrêt très brutal. L’origine du boom revient à Dominique de Villepin qui, lorsqu’il était Premier ministre, a souhaité en novembre 2005 « soutenir l’énergie solaire photovoltaïque » en augmentant le tarif de rachat de l’électricité aux particuliers. Quelques mois plus tard, il devient possible pour toutes les personnes disposant sur leur toit d’un panneau solaire de vendre à EDF le kilowattheure produit 55 centimes d’euros (contre 13,8 centimes auparavant). De nombreux ménages se laissent alors tenter, des entreprises d’installateurs de panneaux se créent un peu partout (générant aussi nombre d’arnaques) et des fonds d’investissement, alléchés par l’effet d’aubaine, poussent à développer des fermes solaires et des usines de fabrication dans l’Hexagone.
Nous ne voulons pas que le photovoltaïque disparaisse du paysage industriel français. Nous ne sommes pas là que pour sauver une entreprise, mais bien pour sauver une filière.
Mais à partir de 2010, tout s’effondre. Devant le coût trop important du dispositif, le gouvernement Fillon déclare un moratoire. Le système de tarification est complètement revu et la vente d’électricité à EDF devient beaucoup moins rentable. Résultat, la plupart des projets solaires deviennent déficitaires et les faillites se multiplient. En deux ans, le nombre de salariés qui travaillent dans le secteur chute, passant de 30 000 à 9 000 (il est de 8 000 aujourd’hui). Cela ne met pas un frein aux déclarations enthousiastes de Nicolas Sarkozy vis-à-vis du secteur. En octobre 2011, dans le cadre d’un déplacement à Changé, en Mayenne, il assure que l’énergie solaire est « stratégique » pour la France. Lors de la Saint-Valentin suivante, le 14 février 2012, il se rend à l’usine de panneaux solaires de Photowatt à Bourgoin-Jallieu, en Isère, alors en grande difficulté financière, pour annoncer aux salariés la reprise de leur entreprise par EDF. « Nous ne voulons pas que le photovoltaïque disparaisse du paysage industriel français. Nous ne sommes pas là que pour sauver une entreprise, mais bien pour sauver une filière », déclare alors le Président en quête de réélection
L’Élysée est donc l’endroit parfait pour déclarer sa flamme au solaire… tout en ne faisant rien ou en le faisant mal. D’ailleurs, voici un petit quiz. Qui disait en 2001 que « la France doit absolument accélérer ses efforts pour développer les énergies d’avenir que sont les énergies renouvelables : solaire thermique, solaire photovoltaïque, éolien, biomasse, géothermie, sans oublier l’hydrogène et les piles à combustibles » ? Réponse : Jacques Chirac. Qui se félicitait en 1990 que la Polynésie française soit « le premier utilisateur mondial de cellules voltaïques qui fournissent l’énergie électrique solaire » ? François Mitterrand. Et qui lors du débat présidentiel du 5 mai 1981 pensait écarter toute critique vis-à-vis de son programme énergétique en se glorifiant d’avoir fait « toutes les recherches nouvelles » sur « l’énergie solaire » ainsi que d’avoir « créé le Commissariat à l’énergie solaire » ? Valéry Giscard d’Estaing.
Et tout ça pour quoi ? Pour pas grand-chose. Car si la production d’électricité d’origine solaire a bien augmenté depuis le siècle dernier
Pourtant, un changement complet et rapide de production électrique et même énergétique, la France sait faire. Ou plutôt, elle a su. Quand, à la suite du choc pétrolier de 1973, le gouvernement de l’époque a décidé d’arrêter d’utiliser du fuel dans ses centrales thermiques et de tout miser sur le nucléaire