Avant de me lancer dans ces nouvelles recherches, j’étais confiant. Mes expériences précédentes avec les bouchons de bière et les tombes trouvés à la décharge sauvage au pied des falaises de Dollemard m’avaient confirmé que faire parler nos vieux déchets raconte beaucoup sur notre civilisation et sur notre rapport au monde. Je n’avais d’ailleurs rien inventé, puisque l’anthropologue Marcel Mauss conseillait déjà à ses étudiants, au siècle dernier : « Les objets les plus communs sont ceux qui nous apprennent le plus sur une civilisation. Une boîte de conserve, par exemple, caractérise mieux nos sociétés que le bijou le plus somptueux ou que le timbre le plus rare. Il ne faut donc pas craindre de recueillir les choses même les plus humbles et les plus méprisées. […] En fouillant un tas d’ordures, on peut reconstituer toute la vie d’une société. »
J’étais d’autant plus confiant que je m’attaquais à des déchets uniques et souvent barrés de marques et de contremarques, de codes et de code-barres : les bâches, les sacs, les bouteilles et les bidons que l’on trouve au pied des falaises du Havre. Le jeu devait notamment consister à comprendre d’où viennent ces déchets, notamment s’ils ont été jetés là depuis l’ancienne décharge des falaises du plateau de Dollemard, ou plutôt amenés là par la mer. Facile, pensais-je. Je commence avec des bâches de camion marquées « Blas » et à moitié mangées par la falaise.