L’île britannique d’Henderson est totalement déserte. À part quelques scientifiques une ou deux fois par décennie, personne ne met jamais les pieds sur cet atoll de 47 kilomètres carrés perdu au milieu du Pacifique Sud. Pourtant, au moins 17 tonnes de déchets la souillent. On trouve en moyenne 671 morceaux de plastique par mètre carré sur ses plages. Tous ont été laissés là par les eaux, et donc avant cela en très grande partie jetés dans nos fleuves et nos rivières (lire l’épisode 6, « Les excuses bidon »). En découvrant cette histoire, je me suis imaginé envoyé spécial dans le Pacifique Sud pour poursuivre mon enquête démarrée au Havre sur l’archéologie de nos déchets.
Finalement, j’ai pris un TER direction Rouen et j’ai traversé une zone industrielle à vélo pour rejoindre les berges de la Seine. Parce que le billet était moins cher, et parce que les quantités de déchets relevées le long de ce fleuve sont largement aussi flippantes qu’à Henderson. En longeant la Seine, sur certaines berges, on marche en effet sur des décennies de détritus accumulés au fil des marées.
Avant 1997, personne n’avait essayé de calculer les volumes de déchets sur les berges de la Seine. De l’Eure à la Seine-Maritime, l’écologue Michel Lerond a longé cette année-là la Seine, en voiture et à pied, du barrage de Poses au pont de Tancarville, et réalisé de nombreux relevés et estimations. Il en avait tiré ce premier aperçu : sur 58 kilomètres de berges, pas moins de 30 000 mètres cubes, soit un mélange de 9 000 tonnes de détritus. Au téléphone, il raconte la suite : « Un programme de nettoyage a été mis en place à partir de 2001 pour ramasser ces déchets. Quand j’ai pris ma retraite en 2011, on avait déjà dépassé les 9 000 tonnes ramassées. Et il restait encore beaucoup de déchets sur les berges. » Pour l’ancien consultant en environnement, ces ramassages indispensables ont réduit le stock de déchets stagnants sur les berges et c’est une très bonne nouvelle. Malheureusement, le problème n’est absolument pas réglé, les ordures « continuent à se déposer ». Cédric Fisson, spécialiste de la question au sein du GIP (Groupement d’intérêt public) Seine-Aval confirme : « Il n’y a pas vraiment de suivi des apports de macrodéchets en Seine, mais il n’y a pas de raison de croire que cette pollution diminue. » Du coup, les berges ressemblent toujours à des poubelles en plusieurs dizaines de sites.

L’un de ces points d’accumulation se trouve sur la petite commune d’Yville-sur-Seine (Seine-Maritime).