Avant de me lancer dans ces nouvelles recherches, j’étais confiant. Mes expériences précédentes avec les bouchons de bière et les tombes trouvés à la décharge sauvage au pied des falaises de Dollemard m’avaient confirmé que faire parler nos vieux déchets raconte beaucoup sur notre civilisation et sur notre rapport au monde. Je n’avais d’ailleurs rien inventé, puisque l’anthropologue Marcel Mauss conseillait déjà à ses étudiants, au siècle dernier : « Les objets les plus communs sont ceux qui nous apprennent le plus sur une civilisation. Une boîte de conserve, par exemple, caractérise mieux nos sociétés que le bijou le plus somptueux ou que le timbre le plus rare. Il ne faut donc pas craindre de recueillir les choses même les plus humbles et les plus méprisées. […] En fouillant un tas d’ordures, on peut reconstituer toute la vie d’une société. »
J’étais d’autant plus confiant que je m’attaquais à des déchets uniques et souvent barrés de marques et de contremarques, de codes et de code-barres : les bâches, les sacs, les bouteilles et les bidons que l’on trouve au pied des falaises du Havre. Le jeu devait notamment consister à comprendre d’où viennent ces déchets, notamment s’ils ont été jetés là depuis l’ancienne décharge des falaises du plateau de Dollemard, ou plutôt amenés là par la mer. Facile, pensais-je. Je commence avec des bâches de camion marquées « Blas » et à moitié mangées par la falaise. On peut encore y lire un numéro de téléphone à huit chiffres, utilisé entre 1985 et 1996. L’entreprise Blas existe toujours et l’un de ses dirigeants m’a rapidement répondu. Selon lui, c’est forcément l’un de ses clients, un transporteur, qui s’en est débarrassé là. Impossible d’identifier lequel avec notre photo. Cela ne devrait plus arriver : l’entreprise propose maintenant à ses clients de recycler leurs toiles usagées.
Seconde tentative avec des bidons de fluide hydraulique de marque Total, d’apparence beaucoup plus récents, et comprenant plusieurs séries de codes et donc faciles à reconnaître. J’ai interrogé la multinationale, en leur parlant aussi de sacs plus anciens trouvés sur la plage qui proviennent de l’usine Atochem, à Gonfreville, et qui ont appartenu à Elf Aquitaine, aujourd’hui Total. Mais le service communication de Total n’a pas dû trouver mon idée amusante, parce que malgré ses promesses et mes nombreuses relances, il ne nous a pas aidés à en savoir plus.
L’entreprise AntiGerm France, dont j’ai aussi trouvé les bidons sur la plage, m’a répondu.