Au 36 quai des Orfèvres, d’habitude, la salle Bertillon sert aux réunions. Mais le 13 novembre et les jours suivants, cette ancienne chapelle s’est transformée en salle de déposition taille XXL, capable d’accueillir simultanément une vingtaine de personnes venues livrer leur témoignage sur les attentats ou une information qu’elles espèrent utile à l’enquête. En dix jours, le numéro de téléphone destiné à donner des renseignements a reçu plus de 13 000 appels. Le regard des Parisiens a changé : il s’est fait plus insistant, voire soupçonneux. Des policiers de nombreux services ont été appelés en renfort sur l’île de la Cité pour engranger le plus de détails possibles.
Le 17 novembre au matin, Erwan Seznec, 45 ans, a rendez-vous avec les policiers de la salle Bertillon. Il est journaliste à Que Choisir depuis huit ans et la fenêtre de son bureau donne sur la rue Guénot (XIe arrondissement), à 180 mètres du Comptoir Voltaire, le café où s’est fait exploser Brahim Abdeslam. Le jour des attentats, Erwan passait la soirée chez lui, en Bretagne. S’il vient témoigner au 36 ce jour-là, c’est qu’une scène datant de plusieurs mois lui est revenue en mémoire.
Pendant la dernière quinzaine d’août, Erwan aperçoit trois barbus vraiment caricaturaux
en djellaba qui discutent sous sa fenêtre. L’un d’entre eux est du quartier, il l’a déjà croisé épisodiquement
. L’un de ses collègues à Que Choisir l’a vu grandir et passer du jogging-baskets au look islamo
. Il a une petite trentaine
et gare souvent sa voiture dans le coin. Sa femme porte un jilbab noir, long voile ne laissant apparaître que le visage, et leur enfant a 2 ou 3 ans
. Erwan n’avait jamais vu le deuxième homme, du même âge, et le troisième, entre 45 et 50 ans, émacié
. Les deux plus jeunes s’adressent au plus âgé avec une certaine déférence
, en français, en se courbant un peu parce qu’il est plus petit qu’eux
.
Quand le journaliste s’approche pour accrocher son vélo à un poteau, ils s’arrêtent de parler. Ce détail l’intrigue et il songe à appeler le commissariat. Question de contexte. Charlie Hebdo n’est pas très loin. Quelques jours plus tôt, Erwan a pris un café avec son confrère Laurent Léger, rescapé de la tuerie du 7 Janvier. Il en a gardé l’impression qu’il fallait se montrer plus vigilant
. Mais sur le moment, Erwan Seznec renonce à décrocher son téléphone pour si peu, se dit qu’il psychote
sûrement.
Je me disais que j’apportais mon petit gravillon et que je n’en entendrai plus jamais parler.
Les attentats du 13 Novembre changent tout. Il