Sophie est rentrée en contact avec un groupe de survivants sur Facebook. Elle voulait retrouver d’autres personnes qui, comme elle, étaient en terrasse au café du Bataclan le soir des attentats. Elle cherchait surtout l’homme qui soutenait un blessé et dont elle a croisé le regard quand elle a pu s’enfuir. C’était le moment de ma libération, mais aussi un moment de lâcheté
, m’explique-t-elle, sévère avec elle-même. Je ne dis rien. Elle ajoute : J’ai aussi besoin de réparer ce moment-là.
Elle n’a pas trouvé trace de cet homme dans ce réseau.
Pour pouvoir intégrer le groupe en décembre, il a fallu qu’elle prouve qu’elle était, elle aussi, une victime des terroristes. L’initiative lancée sur Facebook est alors confidentielle et préserve un entre-soi protecteur. Sophie a fait le récit de sa soirée du 13 Novembre où elle était au café du Bataclan quand les jihadistes ont surgi avant de tuer 90 personnes (lire l’épisode 8). Elle a été acceptée dans le groupe.
J’ai eu l’impression de rentrer dans une communauté, comme s’ils me disaient :
Tu es des nôtres.
Elle en a rencontré quelques membres dans un café près d’Oberkampf. C’était le jour des commémorations des attentats de janvier 2015. Johnny Hallyday avait chanté place de la République. Ils venaient d’assister à la cérémonie. Sophie, elle, n’avait eu aucune envie d’y aller. Elle a trouvé des gens un peu vidés, pas lugubres, souriants
. J’ai eu l’impression de rentrer dans une communauté, comme s’ils me disaient :
Tu es des nôtres.
Cette fois-là, elle ne s’est pas attardée. Elle les a quittés pour aller au Palais de Tokyo avec ses enfants, comme elle l’avait prévu, heureuse d’avoir une activité anodine. Sauf que sa visite n’avait rien de normal : En permanence, je me disais :
Elle a cette élégance d’en rire pour mettre de la distance et rendre son récit plus léger – S’il y a une attaque, on peut se cacher là ou là.
Le nombre de planques qu’il y a là-bas !
– mais je sais que ces impulsions sont sérieuses et malheureusement irrépressibles. J’ai le même genre de réflexes. Je lui demande si elle pense aux dates. Cela pourrait être une question incongrue mais elle a immédiatement compris : oui, me dit-elle. Elle préfère les jours pairs. Les attentats parisiens se sont tous passés des jours impairs. Chacun, chacune, on se concocte des rituels intimes, inavouables, on s’invente de nouvelles superstitions.
Au tout début, elle se sentait impressionnée
et pas forcément légitime
dans ce groupe. Aujourd’hui, elle apprécie son accueil bienveillant
et sans jugement
. C’est un endroit où elle sait qu’elle peut parler.