Depuis qu’il est assigné à résidence, le 3 décembre 2015, Brahim J., 37 ans, passe sa vie au volant. Tous les jours, à 8 heures, 15 heures et 19 heures, il doit pointer à l’hôtel de police de Grenoble. Il vit et travaille à Échirolles, en banlieue sud de la ville. Deux heures quotidiennes d’allers-retours, 30 euros d’essence en plus par semaine. Je connais la route les yeux fermés.
Grand, barbu et vêtu d’un improbable blouson orange fluo, il s’est garé devant La Butte, salle polyvalente et point de ralliement du quartier HLM où il a toujours vécu.
Il aurait apprécié que le ministère de l’Intérieur l’envoie au commissariat de sa commune, à 3 minutes de chez lui, mais celui-ci est fermé le week-end. Tolérants, les policiers grenoblois lui accordent quand même un battement, jusqu’à une heure et demie d’avance. Déjà deux mois qu’il les croise trois fois par jour. Je ne leur en veux pas, mais des fois, je suis dégoûté d’y aller. Je me lève à 6 heures, il fait froid, j’ai les mains gelées et je pars signer avant le boulot.
Brahim est maçon en intérim, au Smic, sur le point de passer plombier.
L’esplanade jouxte « son » chantier, deux immeubles d’habitation en construction depuis avril dernier. C’est sa semaine de vacances. Il hèle ses collègues occupés dans les étages. Yves, le chef, vient lui serrer la main en souriant, comprend qu’il est avec des journalistes (le photographe et moi) et repart sans un mot. Il connaît la situation
, précise Brahim. Je lui ai dit, bien sûr. Il en rigole. J’ai rien à cacher.
J’ai purgé ma peine, j’ai payé ma dette à l’État.
Beaucoup de gens du coin sont au courant. Dans les couloirs de La Butte, Brahim croise un homme du même âge que lui, accompagné d’une fillette. Lui, il m’a vu grandir
, dit-il en le montrant du doigt. Oui, mais nos chemins se sont écartés, heureusement
, répond l’ami en feignant un geste pour protéger sa fille. Il éclate de rire et libère l’enfant : Va faire un bisou à tonton.
Un peu plus loin, le directeur du centre social décrit Brahim comme une personne ressource
qui aime son quartier
.
Marié et père de deux filles de 8 et 3 ans, Brahim n’a pas toujours été le citoyen modèle du quartier. Aujourd’hui, il s’est rangé. Mais, plus jeune, il a donné dans le trafic de stups. Exclusivement du shit, précise-t-il. Il a passé une dizaine d’années
en prison, par petits bouts, jusqu’en 2012. Sa dernière incarcération, cinq ans d’un coup, était la plus longue.